lundi 31 janvier 2011

Respects au paysage

Elles commencent pourtant toutes de la même manière : 

la même lumière hésitante, 
le même parfum diffusé derrière l'oreille, 
la même franchise du miroir,
l'invariable orange, à côté de la théière, 
le même nombre de conducteurs aimables aux passages piétons.

Mais.
Il y a des journées qui ne sont pas assez grandes, pas assez larges, pas suffisantes à ma vie.

Et d'autres qui me donnent l'impression de vivre dans un entresol avec vue sur le mur. 

dimanche 30 janvier 2011

Les années (1976)

Elle apprend à vivre dans ce pays gris et froid, à ne plus espérer retourner vivre sur l'île ensoleillée de son enfance.

Elle met du temps à comprendre le sens du mot préfabriqués qu'on utilise pour désigner les bâtiments de son école.

On lui recommande de ne pas dévisager les gens, pas même la fille de sa classe à moitié défigurée par une brûlure.

Elle lit les aventures de Daniel et Valérie et de leur chien Boby.

Un jour qu'elle a oublié sa gomme et qu'on refuse de lui en prêter une en lui disant qu'elle n'a qu'à frotter avec son doigt, elle troue la page de son cahier.

Elle ne connaît pas encore le mot humiliation.

Elle n'a jamais mangé de chausson aux pommes mais elle en connaît bien le parfum : une mère de famille Portugaise en apporte un à sa fille tous les jours à la sortie de la classe.

Elle n'a pas d'amis. Elle trouve que c'est compliqué de parler aux autres, même aux enfants.

Elle ne savait pas que le photographe allait venir prendre des photos d'identité.

samedi 29 janvier 2011

vendredi 28 janvier 2011

Le cabinet des rêves 4

Il fait beau. Je vais sur mon balcon dont la fenêtre est ouverte et qui est, en fait, une grande terrasse. D'autant plus grande que la cloison qui la sépare de celle de mon voisin a été enlevée. 
Des tables ont été dressées et des gens y sont installés. Ils parlent anglais et ne me disent pas bonjour. 
Un Français moustachu qui s'appelle Patrick entre chez moi avec un plateau : Je vais manger. Je lui réponds qu'il peut manger dehors s'il le veut mais pas dans mon appartement. 

Plus tard, je recherche une affiche de cinéma avec Catherine Deneuve que je suis sûre d'avoir. Mon voisin s'est installé à une table chez moi et je lui demande s'il sait où est mon affiche. 
Or, à ce moment-là, Catherine Deneuve sort de la salle de bain et me demande pourquoi je ne ferais pas des calembours. Elle m'explique qu'elle en fait souvent et que, parfois, elle change les mots ou les lettres sans que personne s'en aperçoive pour que ça colle vraiment et que ça fasse un bon mot. 

Toujours à la recherche de mon affiche, je fouille dans ma malle mais ne trouve qu'un recueil de textes ronéotypés datant de mon CP, CE1. Je me dis que je vais le photographier, qu'il en ressortira bien quelque chose. 
Je croise mon voisin qui a un appareil photo autour du cou et à qui je demande en riant : Tu vas où ? 
Je lui fais remarquer que, à vivre ainsi, on pourrait rapidement devenir un vieux couple, que je pourrais lui demander Quand est-ce que tu rentres ? et Qu'est-ce qu'on mange ce soir ?
Je lui propose de m'attendre pour partir même si j'évalue bien le temps qu'il va me falloir pour me préparer alors que lui est prêt à partir. Je le vois hésiter comme si ça ne l'enchantait pas mais qu'il n'osait pas refuser. Quant à moi, je pense aussitôt après ma proposition que je n'ai pas tellement envie de faire l'effort de parler avec lui dans le train. 
A ce moment-là, une fille entre. Elle aussi porte un appareil photo autour du cou. Elle parle à mon voisin comme s'ils étaient ensemble et lui reproche de ne pas l'avoir rejointe. Je constate que mon voisin est gêné vis à vis de moi et qu'il préférerait être seul. Je fais semblant de rien et, pour éviter la moindre querelle, je retourne sur la terrasse. 
Cette fois, il y a beaucoup de monde et on y parle français. 
Un homme est en bottes de caoutchouc et parle de ça : ça fait des grands pieds, les pieds ne respirent pas... 
Je me dis que des gens vont rentrer chez moi sans enlever leurs chaussures et je me demande aussi comment je vais pouvoir vivre normalement : comment manger ce que je veux si je dois partager le frigo ? Comment me déshabiller si quelqu'un peut entrer à chaque instant ?

Je pense : pourtant, j'ai loué un appartement, ce ne sont pas les termes du contrat.

Rêve du 15 février 2009 

jeudi 27 janvier 2011

Tiensregardeonvas'asseoirlàonvaêtrebienprèsdelafenêtretut'assoisouilàc'estbienAttendsonvaenleverlemanteauheinOnenlèvelemanteauetonvacommanderOnvaattendrelemonsieurpourdemanderdescroissantsAhregardeilestlàlemonsieurbonjourmonsieuronvoudraitdescroissants'ilvousplaitetuncaféetunjusd'orangeavecunepailles'ilvousplaitOuituvasboireunjusd'orangeLebusAhouic'estlebusEtlàc'estletramtuasvuletramLevéloLevéloilestlàtuvoisilnebougepaslevéloAttendsjevaisappelerCaroleJevaisappelerCarolOuiCaroleAlloCarolAhelleestpaslàCaroleBennonelleestpaslàOhregardevoilàlescroissantsOuic'esttoncroissantetlàc'estlecroissantdemamanMercimonsieurTudismercimonsieurEtilyatonjusd'orangeavecunepailleIlestbonlecroissantheinOuiilestbonlecroissantTiensessuietaboucheNonpasavectonpullaveclaservietteTuveuxtonspéculoosNonc'estpasunchocolatc'estunspéculoosUnspéculoosouiEtmamanaussielleaunspéculoosNonc'estpasunchocolatc'estunspéculoosOhletéléphoneTuentendsletéléphoneC'estCarolequitéléphoneOuic'estCaroleAlloCaroleOuijet'appelaispourcetaprèsmidionseretrouveaprèslasiestedespetitsOuilàjesuisaucafémaisledeuxièmeestàlamaisonilestmalademaispourcetaprèsmidiçavaalleralorsondittroisheuresetdemied'accordçaserapastroptardOkàtoutàl'heuresalutCaroleC'étaitCaroleOuic'étaitCaroleTuasfiniTuveuxfaireduvéloOuimaispaslàbasparcequ'ilyal'escalierheinOnvapayerlemonsieuretonvayallerilestoùlemonsieurIlestdanslacuisinelemonsieurAhlevoilàMonsieuronvavousréglerçafaitcombienAllezonyvailfautremettrelemanteauahnonnecriepasOnnesortpassanslemanteauchutChutOnmetlemanteaupourfaireduvélodehorsAttendsmamanaussiremetsonmanteauAllezonyvaAurevoirmonsieurtudisaurevoirmonsieurAurevoir
"Derrière moi la mère des jumeaux expose à la Brésilienne assise de l'autre côté de l'allée sa stratégie éducative.
-Je leur donne un bonbon le soir, juste avant de les coucher. Le résultat sera de toute façon positif : ou bien je les dégoûte des sucreries parce que le bonbon est le signe de l'obligation d'aller se coucher, ou bien je leur donne le goût du sommeil parce que le sommeil est précédé du plaisir de manger un bonbon.
La Brésilienne est souverainement indifférente à ce raisonnement. Quant à moi je me demande pourquoi j'éprouve un sentiment de béatitude à entendre la mère des jumeaux exposer ses vues pédagogiques. Il est vrai que j'ai un faible pour les théories quelles qu'elles soient." 
Marie-Louise Haumont. Le trajet.

mercredi 26 janvier 2011

Précis de topographie 47


La topographie est l'art de la mesure puis de la représentation sur un plan ou une carte des formes et détails visibles sur le terrain, qu'ils soient naturels (notamment le relief) ou artificiels (comme les bâtiments, les routes, etc.). Son objectif est de déterminer la position et l'altitude de n'importe quel point situé dans une zone donnée, qu'elle soit de la taille d'un continent, d'un pays, d'un champ ou d'un corps de rue.
La topographie s'appuie sur la géodésie qui s'occupe de la détermination mathématique de la forme de la Terre (forme et dimensions de la Terre, coordonnées géographiques des points, altitudes, déviations de la verticale...). La topographie s'intéresse aux mêmes quantités, mais à une plus grande échelle, et elle rentre dans des détails de plus en plus fins pour établir des plans et cartes à différentes échelles.

Je recouvre 
les boîtes de mes chaussures
de cartes routières 
de pays lointains
dont elles ne fouleront jamais le sol. 
M
Marche
Il n'y a pas de théorie de la marche, juste une conscience de la marche. Mais il peut y avoir une certaine sagesse qui accompagne l'acte de marcher. Il s'agit plutôt d'une attitude, et c'est une attitude qui me convient très bien. C'est un état dans lequel on peut être à la fois tout à fait attentif à tout ce qui se passe dans notre vision périphérique et à ce que l'on entend et en même temps être tout à fait perdu dans ses propres pensées. 
Marcher, en particulier errer ou flâner, c'est déjà -en rapport à la culture de la vitesse de notre époque- une sorte de résistance. Paradoxalement, il s'agit aussi du dernier espace privé, à l'abri du téléphone et des courriels. Mais il se fait que c'est aussi une méthode très immédiate pour laisser des histoires se déployer. La marche n'est pas une technique, c'est une attitude. Marcher est un moyen très immédiat et très commode d'interagir et, éventuellement, d'interférer dans un contexte donné. La marche procure un état de conscience prolifique. A l'ère du numérique, c'est aussi un des derniers espaces privés. 
Francis Alÿs

mardi 25 janvier 2011

Tuesday self portrait (ma vie de bureau)

La vue change souvent. 
Mes voisins d'openspace aussi. 
Mais, toujours, 
il y a mes carnets, mon stylo et un café noir, 
sur la table. 

Ma vie de bureau est nomade. 
 "L'obligation d'aller tous les jours au bureau m'a d'abord été douloureuse. L'idée de ne jamais pouvoir être ailleurs qu'en tel endroit précis (toujours le même) durant huit heures par jour me contrariait déraisonnablement. Sauf au mois d'août plus une seule fois jusqu'à l'âge de la retraite je ne respirerais en liberté l'odeur d'un jour de semaine. J'avais le sentiment qu'on me forçait à prononcer des voeux. A présent je suis bien aise de savoir chaque matin où je dois aller et par où je dois passer; c'est un repos dont les femmes qui ne travaillent pas ne se font aucune idée."
Marie-Louise Haumont. Le trajet"

lundi 24 janvier 2011

4 heures


 "Annabel et Midge sortirent du salon de thé avec la démarche lente et arrogante de ceux qui n'ont rien à faire, car elles avaient tout leur samedi après-midi devant elles. Elles venaient de déjeuner, comme à leur habitude, de sucre, d'amidon et de graisses végétales et animales. En général, elles mangeaient des sandwiches de pain blanc spongieux tartinés de beurre et de mayonnaise; elles mangeaient d'épaisses tranches de gâteau imbibé sous la glace, la crème fouettée et la sauce au chocolat graveleuse de noix. Pour changer, elles mangeaient parfois des pâtés suintant d'huile de qualité inférieure, avec des petits bouts de viande insipide enfouis dans une pâle sauce qui se figeait; elles mangeaient des pâtisseries, souples sous leur glaçage rigide, fourrées d'une substance jaune et sucrée indéterminée, plus tout à fait solide, pas encore vraiment liquide, un comme de la pommade qu'on aurait laissée au soleil. Elles ne choisissaient pas d'autre nourriture, l'idée ne leur en serait jamais venue. Leur peau ressemblait aux pétales d'une anémone des bois, leurs ventres étaient aussi plats, leurs flancs aussi étroits que ceux des jeunes guerriers indiens."
Dorothy Parker. Une question de standing (in Comme une valse).

 

dimanche 23 janvier 2011

Les années (1994)

Tu es sûre que c'est ce que tu veux ?
A sa coiffeuse, elle répond Oui, oui.

A sa soeur, elle écrit Mais tu sais, quand je croise mon reflet dans une glace, j'ai parfois l'impression d'avoir couché avec l'ennemi.

Elle porte un long, très long manteau noir.
Elle porte des chapeaux.
Elle sourit quand on lui dit Euh, pardon madame après l'avoir appelée monsieur.
Un jour, c'est Mon frère parce qu'on l'a prise pour un séminariste.

Dans son journal, elle écrit 
J'écris pour quelqu'un d'autre. Celle que je serai devenue dans quelques années, animée par d'autres espoirs, d'autres passions, d'autres rêves, rongée par d'autres tracas.


Elle écrit 
A 24 ans, je ne sais pas encore qui je suis.

samedi 22 janvier 2011

REvenante

et puis la nuit est tombée. 

L'obscurité a envahi tout le salon, à l'exception du cercle de lumière intime et chaude de la lampe, près du fauteuil.
Le disque égrenait des mélodies de jazz enfumé des années folles.
Dans le fond du bol blanc refroidissait une dernière gorgée d'earl grey.
Le chat noir avait pris possession de mes bras, j'avais achevé ma lecture mais je suis restée un long moment immobile.

Figée dans cette image de moi, avant.
"Sans hésitation, j'achetai le livre. J'ai toujours cet exemplaire, aujourd'hui jauni, sali et quelque peu abîmé, épaissi aussi à cause d'innombrables petits papiers insérés, exemplaire-trace, exemplaire-témoin dont certaines pages sont massivement et, parfois, doublement soulignées. Sur la page de garde du début du volume, tout à fait en haut, le prix est indiqué : 3190 yens, tandis que sur la page de garde de la fin du volume, je vois la date d'acquisition et mon nom écrits au crayon à papier: samedi 25 novembre 1972, Akira Mizubayashi. L'écriture petite, fine et soignée venant d'un passé lointain me semble être celle d'un autre. Le prix fort élevé de La Transparence et l'obstacle pour un étudiant ne me découragea pas. J'avais chaque mois 10000 yens d'argent de poche pour les menues dépenses de la vie quotidienne. Pour les livres, je disposais d'un budget illimité, si j'ose dire. Mon père me disait : 
-Aucune marchandise n'est meilleur marché qu'un livre, à condition qu'on le lise. Tu achèteras autant de livres que tu voudras, si tu en as besoin et si tu les lis. Rien de plus cher, par contre, qu'un livre, si on ne le lit pas puisqu'on ne peut même pas s'en servir comme papier hygiénique."
Akira Mizubayashi. Une langue venue d'ailleurs

vendredi 21 janvier 2011

Le cabinet des rêves 3

Nous sommes en bord de mer, tous les trois. 
Les enfants sont là aussi. C'est une présence théorique : je les sais là mais je ne les vois pas. 
Je suis en train de prendre des photos et je parle à voix haute. En apparence, je peux sembler me parler à moi-même mais il s'agit plutôt d'un langage codé que nous sommes seuls à pouvoir comprendre. 
Je me sens bien, je suis contente de vivre ce moment. 
Je me suis éloignée vers les rochers mais je peux tout de même les entendre : ils sont sur la promenade en bois, elle dit qu'elle se sent malade, qu'il faudrait rentrer. Il l'approuve et lui tient une porte afin qu'elle passe. 
Je les regarde et suis incapable de deviner s'il reviendra après l'avoir accompagnée. 
Cela m'est tout à fait indifférent de le savoir et je continue à prendre des photos, tranquillement. 

Rêve du 30 décembre 2010

jeudi 20 janvier 2011

Une poésie domestique

le poème découpé, labouré, épinglé,
(on aurait pu croire qu'il en mourrait)
mais non
et à la manière d'un coeur
il palpite
, mais approximativement. Et toujours en rêve.

On écrit à coté de la fenêtre et on trouve au bout de cet
élan transparent selon ce qu’en dit la mise en scène
des fleurs des fleurs dans le fond on sait qu'on va
mourir comment sur quel fond transparent de nouveau
par la fenêtre puis dors et son contraire dors belle aussi
aussi belle (1) de pluie belle on souhaite un court instant
on va un jour mourir et belle belle mise en scène pour
augmenter la longueur de ces gestes celui-là ou un autre
et aller écrire et aussi la fenêtre encore la pluie la pluie.

________

1 :
une femme unique en perspective en forme de bascule
qui tel un assortiment de fruit qu’on n’a pas sur la terre
ou tant d’elle occuperait encore tellement tout le présent.


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LIBELLÉS : MAIS APPROXIMATIVEMENT ET TOUJOURS EN RÊVE

mercredi 19 janvier 2011

Précis de topographie 46

La topographie est l'art de la mesure puis de la représentation sur un plan ou une carte des formes et détails visibles sur le terrain, qu'ils soient naturels (notamment le relief) ou artificiels (comme les bâtiments, les routes, etc.). Son objectif est de déterminer la position et l'altitude de n'importe quel point situé dans une zone donnée, qu'elle soit de la taille d'un continent, d'un pays, d'un champ ou d'un corps de rue.
La topographie s'appuie sur la géodésie qui s'occupe de la détermination mathématique de la forme de la Terre (forme et dimensions de la Terre, coordonnées géographiques des points, altitudes, déviations de la verticale...). La topographie s'intéresse aux mêmes quantités, mais à une plus grande échelle, et elle rentre dans des détails de plus en plus fins pour établir des plans et cartes à différentes échelles.
Je l'ai croisée, noire et maussade, flanquée de ses deux enfants -un garçon, une fille- le front creusé par un pli profondément vertical. 
La journée commençait grise, dans le quartier des arts et métiers. 
De celles qui n'annoncent rien de bon. Rien de mauvais non plus. Rien, de rien.
De celles qui nous privent d'envies et de vie. 

Malgré les travaux, les briques abîmées, les détritus renversés, malgré son air revêche... 
A la rue comme à la femme, j'ai trouvé un certain charme.

mardi 18 janvier 2011

Tuesday self portrait (mais aussi)

 un jour de pluie, tremper un doigt dans mon thé fumé, en parfumer mon poignet

lundi 17 janvier 2011

Celles qu'on aime

Avant de nous parler de son oeuvre, l'éditeur évoqua la vie de Robert Browning, si indissociable de celle d'Elizabeth Barrett, la femme qu'il aima au point de la soustraire à son père et qu'il continua à chérir, jusqu'à ce qu'elle meure.
Mais qui sont-elles donc, ces femmes qu'on enlève ?
Qu'ont-elles de spécial, celles qui inspirent de tels coups d'éclat ?
Dans la rue, je scrute celles que je croise.
Sur les visages et au-delà, je cherche les signes qui font naître la passion.
Mais, maintenant que la mode n'est plus aux cheveux si longs qu'on peut les tresser en échelle du haut d'un donjon, comment reconnaît-on les femmes pour qui on brave le plus terrible des dragons ?

“Robert,” “my husband”— if Flush had changed, so had Miss Barrett. It was not merely that she called herself Mrs. Browning now; that she flashed the gold ring on her hand in the sun; she was changed, as much as Flush was changed. Flush heard her say, “Robert,” “my husband,” fifty times a day, and always with a ring of pride that made his hackles rise and his heart jump. But it was not her language only that had changed. She was a different person altogether."
Virginia Woolf. Flush : a biography.
(Flush est la biographie du cocker d'Elizabeth Barrett, 
écrite par Virginia Woolf, 
publiée en français en 2010 au Bruit du temps).

dimanche 16 janvier 2011

"Ecrire une lettre revient désormais pour moi à retourner une omelette dans la poêle"*

"Mais il y a beau temps qu'on a cessé de s'écrire, avec Clémence, et puis ce n'étaient pas des lettres ce que nous échangions, ces petits mots délicieux qui circulaient entre nous plusieurs fois par jour, vouées aux choses légères, à l'heure qu'il est, aux choses qui passent, qu'on est impatient de dire comme on se réjouit de les lire : cette lumière-là, maintenant, et j'ai pensé à vous, cet arbre-là ou cette neige tout à l'heure sur la ville, et vous avez pensé à moi et j'ai le coeur qui bouge."
Jean-Paul Goux. L'embardée ou les quartiers d'hiver

*Virginia Woolf

samedi 15 janvier 2011

Ce qui reste

Je sais d'elle qu'elle ne s'aime pas beaucoup
,sur les photos
et que, souvent, elle peine à éprouver le sentiment
d'exister. 

Sa main droite était posée
sur son épaule gauche. 

Dans la semi-obscurité de la galerie, elle regardait la photo de Lacan. 

Sur le mur blanc 
se détachait son ombre : 
ses cheveux, 
sa boucle de bohémienne.

Alors j'ai pris la photo : 
sa main
son ombre

Le soir-même, un faux contact a effacé les clichés de la journée.

Quand l'image n'est plus là, il reste les mots. 

Les mots
La vie
L'amie

vendredi 14 janvier 2011

Le cabinet des rêves 2

 
Des taches apparaissent sur la moquette du salon, de la fumée s'en échappe. 
En le constatant, je comprends que c'est la conséquence de quelque chose que j'ai fait précédemment mais je ne parviens pas à me souvenir quoi. 
Le phénomène s'aggrave : la moquette dans son entier est en train de fumer et je pense qu'il sera impossible de le cacher à ma propriétaire. 
Pendant ce temps, de l'eau commence à couler le long des murs. 
Levant les yeux pour voir d'où cela vient, je constate qu'il y a deux grands trous dans le plafond par lesquels je peux voir l'appartement du dessus qui ressemble à un atelier d'artiste abandonné ainsi que la toiture de l'immeuble qui est en très mauvais état. 
Je suis étonnée de voir cet appartement au-dessus alors que je pensais que c'était une mansarde. 


Rêve du 19 novembre 2010

jeudi 13 janvier 2011

Ma double vie

 
Etes-vous Lena ? 
Alors j'attendis 
(plus que lui ?)
celle que je n'étais pas. 

Quand elle entra
je me vis,
moi.

mercredi 12 janvier 2011

Précis de topographie 45

La topographie est l'art de la mesure puis de la représentation sur un plan ou une carte des formes et détails visibles sur le terrain, qu'ils soient naturels (notamment le relief) ou artificiels (comme les bâtiments, les routes, etc.). Son objectif est de déterminer la position et l'altitude de n'importe quel point situé dans une zone donnée, qu'elle soit de la taille d'un continent, d'un pays, d'un champ ou d'un corps de rue. 
La topographie s'appuie sur la géodésie qui s'occupe de la détermination mathématique de la forme de la Terre (forme et dimensions de la Terre, coordonnées géographiques des points, altitudes, déviations de la verticale...). La topographie s'intéresse aux mêmes quantités, mais à une plus grande échelle, et elle rentre dans des détails de plus en plus fins pour établir des plans et cartes à différentes échelles.

Sortant du café, un jour pas encore froid, 
mais, Porte de Namur, un grand tourbillon. 

C'est toujours comme ça, ici !
Oui.
Toujours à cet endroit, 
le vent retourne mon parapluie.

mardi 11 janvier 2011

Tuesday self portrait (une art-thérapie)

Exposition d'Evelyne Axell au Wiels 
Une après-midi de silence et d'art contemporain ont soigné l'extinction de ma voix. 

lundi 10 janvier 2011

Lundi

Alors que le froid m'avait rendue 
de mauvaise foi 
et de glace
je n'avais pas voulu desserrer les poings
et encore moins partager son enthousiasme
pour mes rues hebdomadaires
aux murs dessinés et manuscrits. 

Oublie ce jour
ô s'il te plait 
ce jour où boudeuse, butée, 
j'ai fait semblant d'avoir 
déjà tout vu 

 "Je trouvais inquiétant de voir quelque chose de beau tout là-haut dans le ciel sans qu'il y eût sur terre, ici-bas, de loi interdisant de regarder en l'air. Il était donc permis de soutirer quelques images à la journée avant qu'elle ne devienne pitoyable à l'usine. Si j'avais froid, c'était parce que je ne me lassais pas de ce spectacle et non parce que je n'étais pas assez chaudement habillée."
Herta Müller. La convocation.

dimanche 9 janvier 2011

Statuaire

Un autre soir, c'est cet homme
qui revient. Cet homme au sourire
de chat. En vain il erre où même
les sentiers inconnus ou perdus ne
mènent pas. 
Seule la sirène du bassin est 
toujours présente sans rendez-vous.
Et le bruissement des libellules
dans l'attente de l'été. 
Un autre soir et encore un. Des
sanglots étranglés. 

Au détour d'une allée, spectacle étrange, une foule amassée et pétrifiée. La joie irradiant le regard des enfants peut devenir angoisse dans celui des parents. 
Cet homme ne souriait pas ce jour-là. Il fit apparaître de ses doigts -puis disparaître- lapins, carottes, souris, chats... torches enflammées, osselets blancs. 
Sans aucun bagage, il s'éloigna vers le bassin lorsque, à la fin du spectacle, la foule fascinée se fut enfin dispersée. Banale, quotidienne errance à travers le jardin. 
Un autre le suivait. Aussi terriblement grand que le premier était étonnamment petit. Ils se rejoignirent sans se connaître à la grille de l'entrée. 
L'errance devint plurielle, les spectacles toujours plus glaçants à cause de la présence, silencieuse, perpétuelle du géant. 

La nuit, les statues pleurent et
se taisent ou dansent, ronde
macabre, célébration injustifiée. 

De mystérieuses imprécations animaient ses lèvres lorsque, de ses mains fébriles, il provoquait les exclamations, joyeuses ou inquiètes, du public. L'autre, en retrait, souriait. D'un sourire félin qu'il ne se connaissait pas avant de rencontrer le magicien. 

Assise et raide sur un banc, elle n'assistait pas au spectacle. Il devinait sa peau fragile mais froide, si froide tel le marbre des statues, par-delà la foule. 

La nuit, le parc remue et 
bruisse. Et le chant d'amour 
des crapauds fait se taire les
suppliants chuchotements de 
l'air ambiant. 

Plus tard, le géant se permit un numéro de couteaux après celui du magicien. Les gens, impressionnés -d'autres, terrorisés- n'osèrent respirer. 
Encore plus tard, sur le banc, il fut à côté d'elle, tentant de colorer l'opacité de son regard fixe. L'autre sortit du parc, seul. Son silence, réprobateur. 

La sirène du bassin a les yeux
verts, emplis de mousse. 

Tentant de colorer l'opacité de son regard fixe, de capter sa respiration inexistante, il s'attardait de plus en plus malgré la fraîcheur du banc. Malgré sa froideur à elle. 

Et apparaissaient, disparaissaient, sous l'ordre des doigts, les fleurs, les vases, les tigres et leurs dompteurs. 

Pendant que le géant maniait les lames, le magicien s'approcha du banc, la regarda : immobile. Ses lèvres remuèrent. Il tendit un bras. 

Le couteau s'enfonça dans son dos avant que ses doigts ne claquent. 


25 avril 1994 (sur une idée originale de E.F.R.)

samedi 8 janvier 2011

Bain marie

Un peu après avoir fini de boire son soda, la blonde a quitté la table, traversé la rue et est revenue, deux cartons de petite taille entre les mains. A trois, ils ont partagé les pizzas fumantes en tirant avec leurs doigts sur les fils de fromage. 
Plus loin, les deux amies ont commandé un autre jus de fruit. Dans la boîte de cupcakes, il en restait deux, au glaçage rose comme leurs ongles. Elles avaient encore sur les lèvres les miettes de ceux qu'elles avaient picorés en spéculant sur la confiance à accorder à un homme récemment rencontré. 
La cigarette était la dernière de mon paquet, les pages celles de la fin de mon livre, ma tasse de café était vide mais la pluie ne donnait toujours aucun signe de faiblesse. 

A trembler sous les gouttes, j'ai pensé à un chauffe-eau en panne. 

J'ai séché mes cheveux, j'ai fait du thé, j'ai mis un disque de jazz. 
Et j'ai ouvert son livre comme je me serais installée à la table de Chantal. 
 "Tous les jours, ou presque, Pol m'offrait des phrases de son carnet. Mangeons-nous les uns les autres, dit la bible des ventres, mangez, buvez, et jamais ne mourrez, personne n'a vu un mort faire moindre bonne chère. Il me racontait la profusion d'aliments dans un pays où l'on prétendait manger tout ce qui vole dans le ciel sauf les avions, tout ce qui rampe sauf les trains, tout ce qui a quatre pattes sauf les tables, tout ce qui nage sauf les sous-marins. Il détaillait les menus de banquets dont l'exotisme m'emportait : cygne, hirondelle rouge, estomac de poisson, tendon de cerf, sucré de petits pois, queue de rhinocéros, marmite de tofu aux oeufs de crabe, bosse de chameau. Il me décrivait la somptuosité des cuillères de santal rouge inscrustées d'or, des baguettes d'ivoire, les coupes de vermeil. Sa voix m'extirpait du sommeil."
Chantal Pelletier. De bouche à bouches.

vendredi 7 janvier 2011

Le cabinet des rêves 1

Série de courts métrages. Le dernier : 
Un homme arrive à la plage avec un équipement de plongée. Il parle à une fille blonde. Il explique au public qu'il voulait enfanter dans la mer. Il croise une fille brune (alors qu'il est toujours avec la blonde). 
Ils passent devant un petit train, il met la blonde dedans en lui disant qu'il était amoureux de la brune, que c'était sûrement elle l'enfant qu'il attendait. 
Il s'en va. 
La blonde le suit en courant. 

Rêve du 9 avril 1992

jeudi 6 janvier 2011

"Je n'ai rien vécu aujourd'hui.  
Je perds des jours."*

Le mois de janvier ressemble à un gros paquebot que je regarde distraitement passer sous la pluie devant ma fenêtre pendant que mon thé infuse. 
Je n'ai pas d'agenda, pas encore. 
Pourtant, j'attends quelque chose. 
Vidéo de Francis Alÿs. A voir au Wiels jusqu'au 30 janvier.
*Simone de Beauvoir

mercredi 5 janvier 2011

Précis de topographie 44

La topographie est l'art de la mesure puis de la représentation sur un plan ou une carte des formes et détails visibles sur le terrain, qu'ils soient naturels (notamment le relief) ou artificiels (comme les bâtiments, les routes, etc.). Son objectif est de déterminer la position et l'altitude de n'importe quel point situé dans une zone donnée, qu'elle soit de la taille d'un continent, d'un pays, d'un champ ou d'un corps de rue. 
La topographie s'appuie sur la géodésie qui s'occupe de la détermination mathématique de la forme de la Terre (forme et dimensions de la Terre, coordonnées géographiques des points, altitudes, déviations de la verticale...). La topographie s'intéresse aux mêmes quantités, mais à une plus grande échelle, et elle rentre dans des détails de plus en plus fins pour établir des plans et cartes à différentes échelles.
"Quelque fois à l'éveil, par un matin qui passe, on se sent dans le coeur un souvenir gravé. Le fait est loin de nous, on dirait qu'il s'efface, on l'évoque un instant et on dit : J'ai rêvé.
Un rêve est un regard plongé dans l'infini, quelque chose de bleu, comme un coin de légende, un joyau très brillant mais que le jour ternit. Peut-être le seul fruit que le jour nous défende."
André Breton. 

A l'intersection, il m'a donné le choix de la direction. 
Si on continue par là, c'est le boulevard Bonne Nouvelle
A l'écouter, on aurait presque pu y croiser André Breton. 
Mais, finalement, on est allés vers Etienne Marcel. 

mardi 4 janvier 2011

Tuesday self portrait (la plupart du temps nuageux )

Puisque les
ne pourront plus être aussi 
qu'à 
je les voudrais carrément de pluie,
et de préférence des samedis.

lundi 3 janvier 2011

archiLecture

"Tandis qu'il nous racontait mille choses concrètes sur sa ville, il se livrait à des considérations d'esthétique urbaine dont la cohérence ne nous apparut durant quelques temps qu'au moment où nous les récapitulions, jusqu'à ce que nous puissions la déceler sur-le-champ, en l'écoutant. Il avait en effet quelques images préférées. Constante était celle qui faisait de la ville un grand appartement et l'appartement une petite ville : le quartier était ses pièces, vous protégeant comme une chambre close, les boulevards ses couloirs intérieurs, isolant les espaces d'un côté et les reliant d'un autre; les façades de ses immeubles étaient les livres de sa bibliothèque, banalisés par la répétition de leurs reliures et tous singuliers par les vies qui les habitent."
Jean-Paul Goux. L'embardée ou les quartiers d'hiver.

dimanche 2 janvier 2011

"Mais tant qu'on est vivant, on peut toujours manger des petits plats ou se sentir bien quand il fait beau, ce n'est pas grand-chose mais c'est au moins ça"*

Dans les allées du marché 
-civet de marcassin
mousse de caille
gâteau à la crème
fromage tendre
poulet rôti
olives farcies
petites galettes chaudes-
je lui montrais ce qui rend la vie belle
aux autres.
Comme s'il était plus facile d'être eux que moi.   
Plus tôt au café, il avait tenté de me convaincre de ça : 
Mais tu es là, 
c'est déjà un exploit

*Banana Yoshimoto. Lézard

samedi 1 janvier 2011

veux

Enfin, mon conseil permanent est celui-ci : 


voulez
!
Gustave Flaubert. Lettre à Mademoiselle Leroyer de Chantepie. 11 juillet 1858