Il m'arrive de ne pas me souvenir.
Ainsi : que faisions-nous dans la rue, cette rue-là (1), qu'y faisions-nous le dimanche (2) car ce n'est que ce jour-là que nous les croisions, du moins aussi nombreux.
Ainsi : que faisions-nous dans la rue, cette rue-là (1), qu'y faisions-nous le dimanche (2) car ce n'est que ce jour-là que nous les croisions, du moins aussi nombreux.
Les autres jours, oui, je sais : le marché, les maladies du chat, les dvd le soir (3), les pizzas les jours de flemme (4), le pain les jours de malchance, quand nos réserves du Pain quotidien étaient épuisées.
Venteuse l'hiver, lugubre les jours de pluie, trop chaude l'été, de toute façon trop fréquentée par les voitures pour qu'il soit agréable d'y marcher.
Non, je ne me souviens pas pourquoi mais oui, nous y étions parfois le dimanche, pourtant, dans cette rue-là. Puisque nous y croisions tous ces gens qui portaient ces boîtes blanches, carrées et un peu hautes, closes par un bolduc. Ces boîtes que ma tradition familiale ne m'a donné que très rarement l'occasion d'avoir en main mais dont je sais qu'il faut les transporter avec précaution.
Tout autant que nous n'aurions pas voulu manger les éclairs et les mille-feuilles, les tartelettes aux fruits ou les babas de la boutique dont ils sortaient, nous n'aurions pas aimé les côtelettes, les merguez du barbecue dominical vers lequel ils se hâtaient.
Pourtant, l'espace d'un instant, nous aurions tout donné pour le déjeuner familial (5) qu'ils nous donnaient l'occasion de fantasmer.
Le temps de rentrer, c'était passé : nous enfournions des légumes à rôtir avant de mettre à cuire un gâteau ou des muffins en prévision de l'heure du thé et nous nous installions heureusement dans les heures lentes et longues de notre dimanche après-midi.
(1) Pouvait-on dire que c'était la rue principale sous le prétexte de la présence de quelques boutiques (4 salons de coiffure, 1 loueur de dvd, 3 pharmacies, 1 entrepreneur de pompes funèbres, 1 boulangerie-pâtisserie, 1 supermarché discount, 1 fleuriste, 2 comptoirs à pizza mais aussi : 1 vétérinaire, 1 laboratoire d'analyses, sans doute 1 ou 2 cafés et autant de restaurants et la mairie, la place du marché et la bibliothèque) ? A pied, on y sentait les effluves de caramel qui s'échappaient de l'usine voisine -est-ce moi qui invente ou elle fabriquait des arômes artificiels ?-
(2) "Le bonheur, pour l'Intellectuel, eût consisté à rendre insensible la différence, inadmissible aux yeux d'une saine raison, qui sépare le dimanche des autres jours de la semaine. Cette différence le rendait triste : elle le portait à réfléchir dans un sens où sa pensée n'aimait pas aller. Il rêvait d'une vie où toutes les journées, toutes les heures se fussent ressemblé, eussent été d'une capacité, d'une étendue égales. Déjà les jours de la semaine avaient un nom : c'était gênant; ces noms donnés aux jours s'entouraient de quelque chose qui dépassait l'humain; par là s'introduisaient dans la vie des significations troubles..."
Paul Gadenne. L'Intellectuel dans le jardin.
(3) Ce n'était presque jamais moi qui sortais les rendre, ensuite, dans la nuit.
(4) Avoir testé, le soir de notre arrivée, le comptoir aux mobylettes de la chaîne trop bien connue nous avait fait opter -sans jamais en déroger- pour l'artisan où l'attente était justifiée.
(5) Tout en marchant, il nous arrivait d'énumérer ce dont nous aurions aimé sentir le fumet en arrivant : une moussaka, un osso-buco, un gigot d'agneau, une soupe de légumes, une tarte aux fraises ou à la semoule...
1 commentaire:
*Le dimanche de la vie est un roman de Raymond Queneau.
"-Tu vas pas me dire que c'est vivant, dit Julia qui examinait son animal avec attention, ça n'a pas d'yeux.
-Les oursins non plus, répliqua Valentin.
-C'est pas des bêtes, rétorqua Julia, c'est des fruits. Chez tous les écaillers convenables, ça s'appelle des fruits de mer.
Elle avala son huître.
-En tout cas, ajouta-t-elle en riant, c'est une bestiole qui se défend mal. Elle passe comme une lettre à la poste."
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