La mèche qu'elle glisse derrière son oreille mais qui revient sans cesse voiler son regard.
Ses lèvres qu'elle mordille quand elle hésite, qu'elle réfléchit.
La tasse de thé qu'elle repose toujours sur sa soucoupe entre deux gorgées.
Ses dents, petites et blanches, qui brillent quand elle rit.
Ses yeux qu'elle clôt volontiers en écoutant de la musique.
La grâce de son poignet qu'elle remonte vers son visage pour y lire l'heure.
Sa démarche virevoltante et légère de danseuse.
Dans le bus qui lui fait éviter la pluie au retour du bureau, ce jeudi soir, René-Pierre égrène les souvenirs des gestes chéris de Suzanne. Rien ne lui importe autant que d'en garder vive la mémoire. Rien ne peut l'atteindre. Pas même la conversation pourtant envahissante de ses voisins de voyage.
-Je ne vois pas de qui tu parles.
-Mais si, voyons ! Robert, tu sais bien ! Intraitable avec ses hommes mais la gentillesse même avec son chien !
"Je vous écris encore un mot, car j'ai beaucoup de choses à vous dire. J'avais écrit l'autre lettre ce matin; il est maintenant 3h; j'ai réfléchi et je me demande maintenant à quoi tout cela nous servira; je vais vous parler franchement Suzanne; vous m'avez dit que vous compreniez tout; cela me donne du courage.
Raisonnablement, il y a 2 hypothèses : ou bien nous devons nous oublier d'ici quelques temps; ou bien le temps n'y fera rien, et tout restera comme c'est maintenant jusqu'à ce que nous nous revoyions (car, si nous le voulons et si nous avons assez de patience, nous nous reverrons); si nous devons nous oublier, il n'y a plus de raison de nous écrire, d'entretenir un sentiment qui ne peut que nous faire souffrir; ne trouvez-vous pas ? Il faut, une fois pour toutes, que vous me disiez ce que vous pensez là-dessus, et, surtout, ce que vous sentez. Personnellement, vous savez ce que j'en pense, et qui n'a pas changé depuis que je vous ai vue à Bains : j'ai "une petite phrase au bout de la plume", que vous comprendriez même en anglais, peut-être en allemand.
Qu'ai-je été faire à Bains, chérie ?
Vous rappelez-vous nos parties de dames, qui se terminaient en causeries, et le thé de Mme Davies, où j'avais beaucoup plus envie de pleurer que de goûter. Ce sont là de bons souvenirs, Sweetie, que je voudrais beaucoup revivre.
Dites-moi où je peux vous écrire et ne m'oubliez pas encore; j'ai le cafard, ma petite Suzanne, à cause de vous.
Ai-je encore le droit de vous embrasser ? (répondez)
René-Pierre.
(Lettre de René-Pierre à Suzanne. Le 1er août 1932)
Bande-son spontanée et récurrente de cet amour débutant suivi en roman-photo-feuilleton, à mes oreilles aimable : "the way you were your hat, the way you sip your tea..."
RépondreSupprimerJustifiée particulièrement à cet épisode un peu doux-amer de René-Pierre et sa Sweetie.
oops-a-daisy: "the way you wear your hat", bien sûr...
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