La nuit respire et bruisse. La nuit remue.
René-Pierre se retourne et s'éveille. La chaleur a froissé les draps qu'il repousse loin de lui.
De même, il aimerait repousser les visages qui ont visité son sommeil, les fantômes qui sont venus hanter ses heures, qui continuent à grimacer devant ses yeux pourtant ouverts.
Arrive-t-il aux rêves d'être hors saison ?
René-Pierre se pose la question.
Car dans son rêve, le paysage familièrement estival était couvert de neige.
après avoir lu votre lettre, tout à l'heure, j'étais si heureux que je me suis répété 100 fois que vous étiez gentille, que je vous aimais, etc... Les dactylos ont remarqué que j'ai un air particulièrement joyeux; je fais pourtant attention !
C'est vrai que je vous aime, Suzanne et j'aime toutes vos photos; sur chacune je vous trouve une expression qui me rappelle Bains; je veux parfaitement en avoir une collection, la plus complète possible.
J'aime, chérie, que vous m'écriviez "Vous ne trouvez pas ?"; ça me rappelle tellement Bains et, plus particulièrement, le dimanche, lorsque nous étions debout, sous l'arbre, avant de rentrer à l'hôtel. J'entends encore très bien l'intonation avec laquelle vous le disiez. C'est une des rares choses qui me restent de vous avec précision; grâce aux photos, je vous retrouve, mais il m'arrive parfois, sans elles, de ne plus arriver à vous revoir.
Avez-vous entendu, dimanche, à la T.S.F., l'heure Decca, à Radio-Paris, de 2h à 3h ? Peut-être écoutons-nous parfois les mêmes postes.
J'aime assez Ray Ventura dont j'ai plusieurs disques, notamment "Parlez-moi d'amour"; je ne dis plus jamais ce titre sans y mettre une certaine pensée, pour une certaine jeune fille, extrêmement gentille et à qui je voudrais bien le dire de vive voix.
Je pars demain soir à 22h50. J'arriverai à Royan jeudi matin à 8h, sans doute après une nuit blanche. Je vais sûrement penser à vous sans arrêt, m'imaginer que vous êtes en face de moi -ou à côté- et que nous partons. L'imagination est parfois une chose délicieuse.
Ecrivez-moi souvent; écrivez-moi sans crainte et "parlez-moi d'amour", chérie, comme maintenant.
Est-ce que cela me ferait plaisir de vous embrasser "en réalité"? Suzanne, quelle question délicate ! Si je vous dis non, vous ne me croirez pas; je vous dis oui, vous trouverez peut-être cela... osé ! Tant pis, je réponds oui : je voudrais beaucoup vous embrasser, chérie; c'est trop délicieux pour être défendu.
Et vous ? Répondez."
(Lettre de René-Pierre à Suzanne, le 30 août 1932)
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