Au premier étage, j'ai réalisé que j'étais en train de faire ce que certains appellent Visiter un magasin.
De même que les châteaux de ma jeunesse m'avaient informée des modes des temps anciens, j'avais sous les yeux la vie de mes contemporains.
Ils
étaient plusieurs à regarder les étiquettes des prix et, attentive
ethnologue, je les ai écoutés évoquer le coin du salon où le banc irait
parfaitement, le mur contre lequel ils poseraient le canapé, leur vie que le tabouret à vis rendrait plus belle.
J'aimais bien leur enthousiasme, leur manière de parler de l'avenir.
Alors pourquoi d'autres définitions du verbe meubler se sont-elles autant imposées à moi ?- Meubler ses loisirs : occuper une période creuse de temps.
- Meubler le silence. Meubler sa solitude : faire que quelque chose de vide ne soit plus ressenti comme tel.
- Meubler sa mémoire de détails inutiles : enrichir son esprit de connaissances, de souvenirs.
Elle avait acheté des tapis persans en laine synthétique pour garnir les sols, orné les fenêtres avec de fins rideaux en tulle et des stores de couleur vive, pour donner "une touche de gaieté", ensuite elle avait remplacé l'ancien salon, trop lourd et inconfortable, par un nouveau, en s'inspirant des conseils ingénieux du magazine Culture du logis, très populaire en ville, elle s'était fait aménager une cuisine aux lignes modernes, avait fait repeindre l'appartement, changer les convecteurs à gaz et refaire la salle de bains. Elle ignorait la fatigue, débordait d'énergie, mais elle ne réussit à se sentir réellement dans son élément que, une fois les gros travaux achevés, quand elle entreprit la décoration "de son petit nid". Elle regorgeait d'idées, son imagination ne connaissait aucune limite et elle rentrait de ses expéditions dans les magasins avec soit un miroir serti de fer forgé pour l'entrée, soit un hachoir à oignons très pratique, ou bien encore une jolie brosse à habit à suspendre, dont le manche offrait une magnifique vue panoramique de la ville. Oui, mais deux ans plus tard, et alors que grâce à son activité débordante, il ne restait plus un seul centimètre inoccupé, elle avait toujours le sentiment troublant qu'il manquait quelque chose à sa vie. Elle avait bien complété sa chère collection de petites figurines en porcelaine qu'elle gardait sous vitrine, mais elle s'était vite rendu compte que celles-ci ne comblaient pas totalement le vide.
Làszlo Krasznahorkai. La mélancolie de la résistance.
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