Nous ne possédons pas un sens fiable de la vérité, notre mémoire nous trahit avant même que nous commencions à entreprendre de travailler à un autoportrait. La mémoire n'est absolument pas comme un registre tenu dans un bureau bien ordonné, un lieu où tous les documents ayant trait à tous les détails de notre vie seraient classés et conservés. Ce que nous nous vantons de nommer mémoire est submergé par le flot impétueux de notre sang, c'est un organe vivant, sujet aux mutations de tout organe; ce n'est pas une chambre froide où chaque sentiment peut garder son essence naturelle, son odeur originelle, sa forme historique primitive.Dans ce flux compliqué auquel dans notre hâte nous donnons le nom spécieux de mémoire, les événements roulent les uns par-dessus les autres comme les cailloux dans le lit d'une rivière, se frottant les uns aux autres jusqu'à devenir méconnaissables... Chaque impression subséquente porte son ombre sur les précédentes; chaque nouveau souvenir modifie les anciens, et peut même parfois inverser leur signification.Cependant, bien qu'il soit exact que personne ne peut dire l'absolue vérité sur lui-même, et bien que celui qui écrit sa propre vie doive forcément traiter avec imagination ses archives mémorisées, la simple tentative d'être véridique exige une intégrité suprême de tous ceux qui écrivent leurs confessions...L'autobiographie, précisément parce qu'elle demande non seulement la vérité, mais la vérité nue, exige de l'artiste un acte d'héroïsme singulier; car l'autobiographe doit devenir son propre traître...
Stephan Zweig. Maîtres constructeurs.
mardi 5 juin 2012
Tuesday self portrait (l'héroïsme)
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