Si exister est inné, il n'en est pas de même pour vivre. (1)
En la matière, la formation est permanente, les écoles innombrables, les maîtres le sont parfois à leur insu. (2)
Je
sais, à présent, ce que je dois aux longs et monotones allers et
retours en bus dans les semaines provinciales de ma jeunesse.
Le
samedi, je montais dans le train pour Paris avec la même urgence que si
j'avais eu l'assurance que ma vie allait enfin y commencer.
Et, pourtant, il y régnait une autre sorte d'inertie.
Je
ne participais pas aux débats mais les garçons étaient lents à se
décider. Alors, toujours, nous finissions par devoir sprinter pour ne
pas manquer le début de la séance. Nous arrivions devant la cage des
singes une demi-heure avant la fermeture après avoir épuisé dans les
embouteillages la provision de cassettes contenue par la boîte à gants.
Nous devions écourter la partie de canotage avant la fin de la location
pour être sûrs d'être rentrés à l'heure du dealer.
J'essayais de me conformer aux heures perdues, à la purée de haricots surgelée.
J'essayais
de trouver du charme aux improvisations liées aux trousseaux de clés
perdus, de l'intérêt aux histoires insipides de celui à cause de qui nous étions rentrés si tôt.
J'essayais d'écouter Jimmy Hendrix.
J'essayais de faire la grasse matinée. (3)
J'ai oublié pourquoi, comment et quand j'ai cessé d'aller rue Berzélius.
J'y ai beaucoup appris, cependant.
(1) C'est pour cela, d'ailleurs, qu'il existe des guides.
"A notre époque de technique planétaire et d'accélération progressive du rythme quotidien, il peut sembler désuet de parler encore de "Savoir-vivre", puisque -vous diront certains d'un ton narquois- l'homme moderne n'a même plus le temps de vivre.
Eh bien ! l'argument n'est pas convaincant, bien au contraire, et un savoir-vivre s'avère précisément indispensable pour alléger les tensions permanentes de notre vie sociale." Françoise Le Folcavez. A.B.C. du Savoir-vivre.
(2) Vous, oui vous aussi.
(3) Puis j'ai pris l'habitude d'embrasser l'épaule du garçon, de le réveiller suffisamment pour lui dire que je reviendrais -plus tard- et je me jetais dans les rues de Paris que j'avais espérées toute la semaine.
Ainsi, belles furent les heures passées seule au centre Pompidou à visiter l'exposition "André Breton, la beauté convulsive"*. A mon retour, je trouvai plusieurs garçons attablés autour de tardives miettes. Mon récit fit briller dans leurs yeux l'envie qu'ils ne virent pas dans les miens.
*De cette visite, je garde la belle édition de José Corti de L'Immaculée conception de Paul Eluard et André Breton.
"L'amour a toujours le temps. Il a devant lui le front d'où semble venir la pensée, les yeux qu'il s'agira tout à l'heure de distraire de leur regard, la gorge dans laquelle cailleront les sons, il a les seins et le fond de la bouche. Il a devant lui les plis inguinaux, les jambes qui couraient, la vapeur qui descend de leurs voiles, il a le plaisir de la neige qui tombe devant la fenêtre. La langue dessine les lèvres, joint les yeux, dresse les seins, creuse les aisselles, ouvre la fenêtre; la bouche attire la chair de toutes ses forces, elle sombre dans un baiser errant, elle remplace la bouche qu'elle a prise, c'est le mélange du jour et de la nuit. Les bras et les cuisses de l'homme sont liés aux bras et aux cuisses de la femme, le vent se mêle à la fumée, les mains prennent l'empreinte des désirs."
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire