jeudi 16 août 2012

la place

, alors, à force, je m'étais mise à redouter de me trouver seule avec lui mais c'était malheureusement fréquent car il était encore plus matinal que moi et quand j'arrivais, il était souvent déjà là, en train de manger des tartines au jambon, penché sur son écran et sa journée et je déballais à mon tour mon petit déjeuner, dépeçait une orange et, quoi qu'il en soit, faisais mine d'être absorbée afin d'éviter ses commentaires que je craignais non seulement pour leur inanité mais surtout à cause de leur persistance dans ma mémoire alors même que, proférés sur le ton d'une vérité universelle et incontestable, ils semblaient toujours concerner une partie de l'humanité à laquelle je n'appartenais pas. 

J'ai retrouvé la théière sur le bord de la fenêtre de la chambre, là où, le matin même, je l'avais bue puis abandonnée avant d'aller emplir mon panier de fruits et de pain frais sous le soleil qui m'avait donné envie de parc et de terrasse mais qui, finalement, brillait bien trop fort pour la ville et m'avait, au contraire, poussée à rentrer sans tarder afin d'ouvrir grand la fenêtre sur le jardin et ses perruches et, portant mon fauteuil jusqu'à l'ombre, sous le carillon japonais du centre de la pièce, j'avais eu l'impression de prendre ma revanche sur lui en même temps que je m'en étais voulu de ne pas encore avoir oublié ce qu'il avait dit un matin de l'année dernière, avant d'aller définitivement prendre ses petits déjeuners ailleurs.

... de toute façon, on est bien tous pareils : une fois qu'on a une place, on n'en bouge jamais. Je vois bien mon grand-père, il a beau avoir un grand appart, il est toujours dans le même fauteuil. Et moi aussi. C'est normal.

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