Les Américaines ont toujours eu peur des Françaises. Miléna eut une moue réprobatrice. Dans la situation présente, elle aurait plutôt affirmé le contraire. Les Américaines, les Françaises, c'était une classification sommaire, deux groupes circonscrits par les attributs évasifs d'une nationalité. S'il s'agissait d'un compliment, Joan s'y prenait d'un peu loin. Non, je t'assure, ce n'est pas aussi caricatural qu'il y paraît. Alors je ne comprends pas. Joan vint s'asseoir en tailleur près d'elle. Vous êtes pour nous le symbole d'une combinaison que nous ne parvenons pas à incarner... la féminité et le naturel, la fragilité et la volonté. Le portrait aurait été flatteur s'il n'avait pas été caricatural, voire risible. Joan ne pouvait pas entretenir sérieusement ce genre d'idées. OK, admettons que nous soyons cela. Pourquoi en avoir peur ? Parce que vous vous octroyez un droit que notre culture nous refuse, celui de voler les hommes ! Et la combinaison dont je parle vous en donne justement les moyens. Miléna se mit à rire; elle ne parvenait pas à croire que Joan puisse raisonner ainsi. Françaises et Américaines auraient été les noms de deux tribus d'Amazone se disputant, à armes inégales, un cheptel de mâles. Tu vas me dire que les femmes d'ici ne cherchent pas à séduire ? Pas lorsque l'homme est pris; c'est un interdit tacite.
Céline Curiol. Exil intermédiaire.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire