samedi 9 octobre 2010

Demain peut attendre

Dans le salon, se saisir de chaque livre, briser les piles, réveiller les pages et ne s'apercevoir que la nuit est tombée par la fenêtre restée ouverte que parce que, soudain, il faut tendre le bras vers la lampe pour continuer à lire. Ne pas savoir l'heure qu'il est parce que ça n'a pas d'importance, parce que la solitude permet cette ignorance et se dire que le rangement, comme la vaisselle, attendront le lendemain, attendront un autre jour. Pourraient, même, attendre toujours. 
"L'ordre interdit dans une large mesure les fumées, les forêts, les voyages. Désirer l'ordre de façon systématique, c'est désirer la clinique, le devoir de vacances, l'uniforme et la mort. Car le plus bel ordre est l'ordre de la Mort. Il n'y a d'ordre que dans les alphabets, les règles grammaticales, les souvenirs et les cimetières. L'ordre est sous les vagues, sous les herbes, sous les passions. Il est dans le passé, dans ce qu'on ne dérange plus guère, dans ce qui ne bougera jamais. 
L'ordre ne permet rien. Il termine la course des impressions et des courants comme un butoir. C'est la gare où l'on arrive. En revanche le désordre, c'est la gare d'où l'on part. L'ordre s'appelle terminus et le désordre se nomme évasion. L'ordre, c'est la table de multiplication. Le désordre, c'est Victor Hugo. 
Il n'y a pas de règle qui oblige l'homme à dormir sur le côté droit, à choisir dans un menu le cassoulet plutôt que le rôti de porc, à se lever à une certaine heure. L'homme est toujours en train de créer. Quand on demandait à Shakespeare où il puisait le sujet de ses pièces, il répondait : "Dans le rêve." Ainsi allait-il au plus pur du désordre. Il tournait les pages du merveilleux album des nuits. Il priait le déterminisme de se retirer avec son plateau. L'ordre offre aux mortels des oreillers. Le désordre les met en route vers le possible."
Léon-Paul Fargue. Haute solitude

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