samedi 8 janvier 2011

Bain marie

Un peu après avoir fini de boire son soda, la blonde a quitté la table, traversé la rue et est revenue, deux cartons de petite taille entre les mains. A trois, ils ont partagé les pizzas fumantes en tirant avec leurs doigts sur les fils de fromage. 
Plus loin, les deux amies ont commandé un autre jus de fruit. Dans la boîte de cupcakes, il en restait deux, au glaçage rose comme leurs ongles. Elles avaient encore sur les lèvres les miettes de ceux qu'elles avaient picorés en spéculant sur la confiance à accorder à un homme récemment rencontré. 
La cigarette était la dernière de mon paquet, les pages celles de la fin de mon livre, ma tasse de café était vide mais la pluie ne donnait toujours aucun signe de faiblesse. 

A trembler sous les gouttes, j'ai pensé à un chauffe-eau en panne. 

J'ai séché mes cheveux, j'ai fait du thé, j'ai mis un disque de jazz. 
Et j'ai ouvert son livre comme je me serais installée à la table de Chantal. 
 "Tous les jours, ou presque, Pol m'offrait des phrases de son carnet. Mangeons-nous les uns les autres, dit la bible des ventres, mangez, buvez, et jamais ne mourrez, personne n'a vu un mort faire moindre bonne chère. Il me racontait la profusion d'aliments dans un pays où l'on prétendait manger tout ce qui vole dans le ciel sauf les avions, tout ce qui rampe sauf les trains, tout ce qui a quatre pattes sauf les tables, tout ce qui nage sauf les sous-marins. Il détaillait les menus de banquets dont l'exotisme m'emportait : cygne, hirondelle rouge, estomac de poisson, tendon de cerf, sucré de petits pois, queue de rhinocéros, marmite de tofu aux oeufs de crabe, bosse de chameau. Il me décrivait la somptuosité des cuillères de santal rouge inscrustées d'or, des baguettes d'ivoire, les coupes de vermeil. Sa voix m'extirpait du sommeil."
Chantal Pelletier. De bouche à bouches.

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