dimanche 9 janvier 2011

Statuaire

Un autre soir, c'est cet homme
qui revient. Cet homme au sourire
de chat. En vain il erre où même
les sentiers inconnus ou perdus ne
mènent pas. 
Seule la sirène du bassin est 
toujours présente sans rendez-vous.
Et le bruissement des libellules
dans l'attente de l'été. 
Un autre soir et encore un. Des
sanglots étranglés. 

Au détour d'une allée, spectacle étrange, une foule amassée et pétrifiée. La joie irradiant le regard des enfants peut devenir angoisse dans celui des parents. 
Cet homme ne souriait pas ce jour-là. Il fit apparaître de ses doigts -puis disparaître- lapins, carottes, souris, chats... torches enflammées, osselets blancs. 
Sans aucun bagage, il s'éloigna vers le bassin lorsque, à la fin du spectacle, la foule fascinée se fut enfin dispersée. Banale, quotidienne errance à travers le jardin. 
Un autre le suivait. Aussi terriblement grand que le premier était étonnamment petit. Ils se rejoignirent sans se connaître à la grille de l'entrée. 
L'errance devint plurielle, les spectacles toujours plus glaçants à cause de la présence, silencieuse, perpétuelle du géant. 

La nuit, les statues pleurent et
se taisent ou dansent, ronde
macabre, célébration injustifiée. 

De mystérieuses imprécations animaient ses lèvres lorsque, de ses mains fébriles, il provoquait les exclamations, joyeuses ou inquiètes, du public. L'autre, en retrait, souriait. D'un sourire félin qu'il ne se connaissait pas avant de rencontrer le magicien. 

Assise et raide sur un banc, elle n'assistait pas au spectacle. Il devinait sa peau fragile mais froide, si froide tel le marbre des statues, par-delà la foule. 

La nuit, le parc remue et 
bruisse. Et le chant d'amour 
des crapauds fait se taire les
suppliants chuchotements de 
l'air ambiant. 

Plus tard, le géant se permit un numéro de couteaux après celui du magicien. Les gens, impressionnés -d'autres, terrorisés- n'osèrent respirer. 
Encore plus tard, sur le banc, il fut à côté d'elle, tentant de colorer l'opacité de son regard fixe. L'autre sortit du parc, seul. Son silence, réprobateur. 

La sirène du bassin a les yeux
verts, emplis de mousse. 

Tentant de colorer l'opacité de son regard fixe, de capter sa respiration inexistante, il s'attardait de plus en plus malgré la fraîcheur du banc. Malgré sa froideur à elle. 

Et apparaissaient, disparaissaient, sous l'ordre des doigts, les fleurs, les vases, les tigres et leurs dompteurs. 

Pendant que le géant maniait les lames, le magicien s'approcha du banc, la regarda : immobile. Ses lèvres remuèrent. Il tendit un bras. 

Le couteau s'enfonça dans son dos avant que ses doigts ne claquent. 


25 avril 1994 (sur une idée originale de E.F.R.)

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