Il est banal de constater qu'on s'emporte soi-même en voyage.
A New York comme partout ailleurs, le samedi après-midi m'a fait hésiter :
à quoi passer les heures ?
Et puis, traversant Bryant Park, j'y ai croisé le salon de lecture.
Comme Bryant Park est situé derrière la bibliothèque publique, les statues d'écrivains abondent entre ses arbres. Devant moi, sur un socle pas très haut, dans une généreuse épaisseur de vie sédentaire et de bronze, est assise Gertrude Stein dont l'effigie est la dernière à s'être incorporée à la population littéraire du parc. Les autres héros ou hommes de lettres en bronze s'accoudent à des colonnes en des attitudes solennelles ou sont assis sur des fauteuils semblables à des trônes, messieurs en longue redingote, aux épais favoris et au nom oublié, mais Gertrude Stein a une attitude dégagée, prosaïque, celle d'une grosse dame qui s'assied sur un banc après une marche qui l'a fatiguée : les hanches très larges, un nez crochu qui rappelle le bec d'un gros oiseau bienveillant. Les gens passent, déjeunent, parlent dans leur téléphone portable, fument avec les yeux à demi fermés, lisent le journal, jouent aux échecs sur de petites tables métalliques, et Gertrude Stein appuie d'un air méditatif son menton dans une main et le coude dans son giron de matrone de bronze, avec l'expression qu'elle devait avoir quand elle posait pour Picasso.Antonio Munoz Molina. Fenêtres de Manhattan.
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