lundi 5 juillet 2010

Chaque jour est une autobiographie

Réjouissons-nous d'être anonymes et privés de biographes : au moins sommes-nous narrateurs de nos vies et pouvons-nous choisir ce que nous voulons en dire.
A la fin de la journée, en trier les heures, récapituler les couleurs qui ont habillé le ciel, plier le linge propre du matin, découper des fruits pour une compote tardive, choisir la musique qui va avec le soir, verser de l'eau dans la bouilloire.
Aujourd'hui, un de ceux-là : un de ces jours qui ne passeront pas à la postérité mais forment le sédiment de ma vie, doucement et presque à mon insu, constituent une réserve de couleurs, de saveurs, de sentiments.

"Quand on parle de la vie d'un homme ou d'une femme, quand on la récapitule ou résume, quand on raconte son histoire ou sa biographie, dans un dictionnaire ou une encyclopédie ou dans une chronique ou en parlant entre amis, on rapporte généralement ce que cette personne a accompli et ce qui lui est effectivement arrivé. Au fond, nous avons tous la même tendance, c'est-à-dire à voir dans les différentes étapes de notre vie quelque chose comme le résultat et l'abrégé de ce qui nous est arrivé et de ce que nous avons obtenu et de ce que nous avons réalisé, comme si c'était cela seulement qui constituait notre existence. Et nous oublions presque toujours que les vies des personnes ne sont pas seulement cela : chaque trajectoire est aussi composée de nos pertes et de nos déchets, de nos omissions et de nos désirs inaccomplis, de ce que nous avons un jour laissé de côté ou que nous n'avons pas choisi ou pas atteint, parmi les nombreuses possibilités qui pour la plupart n'ont pas été réalisées -toutes sauf une, finalement- de nos hésitations et de nos rêveries, de nos projets frustrés et de nos aspirations fausses ou tièdes, des peurs qui nous ont paralysés, de ce que nous avons abandonné ou qui nous a abandonnés. Nous consistons peut-être, en somme, autant en ce que nous sommes qu'en ce que nous n'avons pas été, autant en ce qui est vérifiable et quantifiable et mémorable qu'en ce qui est le plus incertain, indécis et estompé, peut-être sommes-nous dans une égale mesure faits de ce qui a été et de ce qui aurait pu être."
Javier Marias. Littérature et fantôme.

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