je sais pas si c'est
du chat,
du chien
ou du synthétique
(une autophotografiction)
Le lendemain, pour me distraire, j'ai essayé de me lancer dans la cartographie de Moby Dick.Cartographier un roman est une tâche délicate. Parfois, les paysages imaginaires m'offraient un refuge, un répit dans la mission que je m'étais assignée de cartographier le monde réel dans sa totalité. Mais ce répit était toujours assorti d'un sentiment de vacuité : je savais que je me leurrais, que l'oeuvre de fiction n'était qu'une illusion. Sans doute certains parviennent-ils à justifier le plaisir de l'évasion par la conscience du leurre, peut-être est-ce précisément là tout l'intérêt des romans, mais pour ma part, j'ai toujours trouvé difficile d'accepter cette cohabitation de la réalité et de la fiction. Peut-être faut-il simplement être adulte pour réaliser ce numéro d'équilibriste qui consiste à croire tout en ne croyant pas.Reif Larsen. L'extravagant voyage du jeune et prodigieux T.S. Spivet.
Rembrandt. Au cours de sa vie il a peint son autoportrait une bonne cinquantaine de fois, griffonné d'innombrables dessins et laissé vingt gravures à l'eau-forte. Aucun artiste ne l'avait fait auparavant. Aucun artiste ne s'était si manifestement pris lui-même pour objet de son travail.Le tableau change constamment. Rembrandt se costume, revêt une armure, se coiffe d'un chapeau ou s'enveloppe d'une cape. Le visage vieillit, se ride, redevient lisse.Ce ne sont pas des photographies, il s'agit de théâtre.Pourquoi Rembrandt s'est-il servi de lui-même ? Eh bien, parce qu'il était là, mais tout autant parce qu'il n'y était pas. Il déplaçait ses propres frontières. Il se glissait dans des peaux différentes. Ces autoportraits ne rendent pas compte d'une existence unique mais de nombreuses vies qui se superposent et qui parfois affleurent dans la peinture, à travers le peintre.Jeanette Winterson. Powerbook.
Elle a affirmé sans hésiterJe peux changer l'histoire. Je suis l'histoire.Jeanette Winterson. Powerbook
*Cette pièce brève a été écrite par Gertrude Stein sur l'île de Majorque en 1916.Un homme et une femme sont assis chacun à une petite table. Ils écrivent des lettres : l'un à l'autre, à des connaissances communes ou non... Parfois ils ne sont pas d'accord sur ce qui doit être écrit. Le texte des lettres est parfois projeté sur un écran semblable à une immense page située derrière eux. C'est un troisième personnage, muet, à l'avant-scène qui "écrit" les lettres sur un rétroprojecteur.
La plupart des gens ne voient que la réalité superficielle du travail d'écriture et s'imaginent que la tâche de l'écrivain nécessite simplement de rester tranquillement dans son bureau et de penser. Si vous avez la force de soulever une tasse de café, pensent-ils, vous pouvez écrire un roman.Haruki Murakami. Autoportrait de l'auteur en coureur de fond.
J'ai vu à la vente des livres d'amis à moi, Aleixandre et Benet*, dédicacés à des amis à eux, morts peut-être ou qui peut-être se sont lassés de les avoir et les ont mévendus. Je les ai achetés pour qu'ils ne tombent pas aux mains d'étrangers. Et j'ai découvert un jour dans une librairie l'exemplaire qu'un autre ami écrivain avait dédicacé à son psychiatre, rien de moins, dont il était encore le patient : grave dilemme aux imprévisibles conséquences, le faire savoir ou non à cet ami. Par chance, je n'ai pas encore trouvé de livre de moi offert il y a quelque temps à un être cher. Mais tout viendra à son heure, je suppose, car il y a un genre de mélancolie que généralement la vie ne nous épargne pas.Javier Marias. Autres vanités in Littérature et fantôme.
(1)Je ne me rappelle pas son contexte ni qui l'a dite ni pour quelle raison, je sais simplement que la phrase est de Shakespeare et que grâce à ma mauvaise mémoire j'ai eu l'audace de la faire mienne, de la paraphraser dans ma langue et de l'inclure à plusieurs reprises dans mes romans, jamais de façon identique, peut-être, mais -disons- "avec des variations". Je crois qu'en anglais elle dit ceci : "the dark back and abyss of time". Je l'ai employée dans ma langue comme "le revers du temps, son dos noir, son retournement", je suis sûr de l'avoir formulée ainsi un jour. Ou peut-être "l'envers du temps", je ne sais plus.Javier Marias. Le dos noir du non-advenu in Littérature et fantôme.
Il a plu quelques instants mais c'était une averse rafraîchissante qui faisait du bien. Un épais nuage en provenance de l'océan s'est approché et s'est installé juste au-dessus de moi, il a lâché une douche tranquille, puis, comme s'il s'était soudain souvenu : "Ah ! C'est vrai ! J'ai des achats à faire !", il est parti précipitamment sans même se retourner. Ici, la météo suit un schéma extrêmement simple : surtout ne pas y chercher quoi que ce soit d'abstrait ou d'ambigu, ou quelque trace de métaphore ou de symbole.Haruki Murakami. Autoportrait de l'auteur en coureur de fond.
Nous ne possédons pas un sens fiable de la vérité, notre mémoire nous trahit avant même que nous commencions à entreprendre de travailler à un autoportrait. La mémoire n'est absolument pas comme un registre tenu dans un bureau bien ordonné, un lieu où tous les documents ayant trait à tous les détails de notre vie seraient classés et conservés. Ce que nous nous vantons de nommer mémoire est submergé par le flot impétueux de notre sang, c'est un organe vivant, sujet aux mutations de tout organe; ce n'est pas une chambre froide où chaque sentiment peut garder son essence naturelle, son odeur originelle, sa forme historique primitive.Dans ce flux compliqué auquel dans notre hâte nous donnons le nom spécieux de mémoire, les événements roulent les uns par-dessus les autres comme les cailloux dans le lit d'une rivière, se frottant les uns aux autres jusqu'à devenir méconnaissables... Chaque impression subséquente porte son ombre sur les précédentes; chaque nouveau souvenir modifie les anciens, et peut même parfois inverser leur signification.Cependant, bien qu'il soit exact que personne ne peut dire l'absolue vérité sur lui-même, et bien que celui qui écrit sa propre vie doive forcément traiter avec imagination ses archives mémorisées, la simple tentative d'être véridique exige une intégrité suprême de tous ceux qui écrivent leurs confessions...L'autobiographie, précisément parce qu'elle demande non seulement la vérité, mais la vérité nue, exige de l'artiste un acte d'héroïsme singulier; car l'autobiographe doit devenir son propre traître...
Stephan Zweig. Maîtres constructeurs.
ce sera là le rendez-vous là le thé lentement préparé sera ce qui dure pour que deux êtres se contemplant coulent glissent infusent se mêlent et s'unissent depuis l'origine la création jusqu'à la fin qui recommencera et nous boirons le temps perdu dans le bol si parfaitement beau de l'espace sous le prétexte d'une cérémonie
Werner Lambersy Maîtres et maisons de thé