dimanche 3 octobre 2010

Un amour débutant (un roman-photo épistolaire) 1

Il fallait se dépêcher : bientôt ils ne seraient plus ensemble, bientôt ils se seraient quittés, bientôt cet instant serait le plus récent de leurs souvenirs. 
Suzanne avait sorti un petit carnet d'adresses de son sac à main. Et un stylo également. 
C'est un cadeau de ma marraine, je l'emporte tout le temps ! 
Elle lui avait tendus puis s'était reprise. Dans la confusion, leurs mains s'étaient frôlées et elle avait rougi. 
Il vaut mieux que ce soit mon écriture. Et que j'écrive un prénom de fille. On ne sait jamais ! 
Pendant qu'il lui dictait son adresse, René-Pierre fouillait dans son portefeuille pour y retrouver les photos d'identité qu'il y avait récemment glissées. Mais il fallait se rendre à l'évidence : elles n'y étaient pas. Seule s'y trouvait une photo de son enfance, un portrait dont il ne se souvenait pas des circonstances. 
Et il aurait préféré mourir plutôt que Suzanne la voie. 
"Ma chère petite Suzanne,
je ne peux vous dire à quel point je suis navré de vous avoir quittée; je me suis réellement attaché à vous comme si je vous avais connue très longtemps et je ressens encore, en vous écrivant, la même angoisse qui m'étreignait dimanche.
Nous nous connaissons mal, encore -bien que tant d'étapes aient été brûlées en si peu de temps- je suis parti, il me semble, au moment où tout allait devenir facile entre nous, au moment où, l'entente s'étant faite, nous n'aurions plus qu'à vivre tout doucement et, pourquoi ne pas dire les choses telles qu'elles sont ? -à nous aimer, n'est-ce pas ?
Je ne crois pas, sweetie, que nous ayons été très francs dimanche, lorsque nous parlions de notre sympathie mutuelle et notre "gros béguin", nous n'avons pas osé aller jusqu'au bout; c'est si difficile de dire à quelqu'un qu'on l'aime !
Pour ma part, la peine que j'avais de vous quitter et que je ressens maintenant de ne plus vous voir, était la preuve que j'avais pour vous beaucoup plus que de l'amitié ou de la sympathie.
Il me semble qu'il est impossible que nous ne nous revoyions jamais, que, si vous me disiez maintenant que vous avez pour moi suffisamment d'affection pour ne pas m'oublier, même durant plusieurs mois, je vous dirais d'attendre, attendre je ne sais quoi, que les événements nous rapprochent; sait-on jamais !
Je repense à nos promenades, au parc, aux chansons anglaises que j'aimais chanter avec vous, à vous. Tout cela était très beau, très doux.
"Good-bye, chérie; dreams enfold you". Que faire ? Vous embrasser tout doucement, en pensant que vous me consolez."
(Lettre de René-Pierre à Suzanne, le 20 juillet 1932)

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