"Dans toutes les photos se glissent des étrangers; les tirages préservent une intimité qui n'a existé qu'une fraction de seconde, quand une personne qu'on n'a pas remarquée sur le moment s'est involontairement égarée dans le cadre. Cachées au milieu des visages familiers et rieurs des amis, il y a les formes entrevues d'étrangers; et, dans les lointaines maisons d'étrangers, vous êtes là, en lisière, légèrement flou, au milieu des souvenirs d'autres gens. Nous bavons les uns sur la vie des autres. Au cours de n'importe quelle journée, dans n'importe quelle ville, cela se produit des milliers de fois peut-être et, de temps à autre, une pellicule en porte la trace. C'est ce qui arrive ici. Regardez bien et peut-être là, près de la marge, vous trouverez le reflet fugitif de votre propre image : faisant la queue au bar, courant après l'autobus, buvant de la bière sur un toit.
Souvent, ce qui arrive accidentellement, involontairement, au bord ou dans les marges des photos -le détail apparemment négligeable- donne à la photo son sens particulier. Ce qui advient bien nettement au premier plan semble d'une certaine manière sans importance ou dépourvu de signification en comparaison de -ou, du moins, ne prend de signification et d'importance qu'à travers- l'intrusion accidentelle d'un détail : le bout d'une chaussure; une voiture à l'arrière-plan; un parapluie roulé; l'inclinaison d'un chapeau; l'enfant qui lèche une glace. Ces détails absorbent et transforment -et sont eux-mêmes absorbés et transformés par- l'action principale; les protagonistes sont saturés par les inflexions accidentelles de détails subalternes. La distinction entre premier plan et arrière-plan s'effondre; le sujet est détrôné par son environnement, par la configuration éphémère des nuages, par d'autres visages dans la rue; son ombre se perd dans la confusion d'autres ombres -les ombres projetées par des gestes accidentels."
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