jeudi 13 septembre 2012

Une semaine à New York (la couleur du rêve)

je décidai de faire preuve d'humilité : ce n'est qu'avec patience, avec résignation, que je serai capable de percer le secret de New York -à travers la banalité de ses trottoirs, de ses petites boutiques de quarter, le halo familier des réverbères. Si ce sens primordial que j'avais entrevu en rêve existait, ce n'est pas dans l'ombre des gratte-ciel que je le trouverais mais dans la foule de petites observations que j'accumulerais patiemment.
C'est ainsi que mes yeux, qui fouillaient depuis des heures, commencèrent à se dessiller. Je perçus la couleur des tuyaux et des compteurs de la pompe à essence. Je remarquai les chiffons sales dans la main des enfants qui surgissaient sur la chaussée pour laver les vitres des voitures arrêtées aux feux; je vis les shorts et les chaussures de sport que portaient les hommes et la couleur bleuâtre des cabines téléphoniques éclairées d'une lumière métallique; les murs, les briques, les grandes plaques de verre, l'éclairage des bars, les passages piétons, les publicités pour Coca-Cola et Marlboro, les affiches sur les murs, les arbres, les chiens, les taxis jaunes, les traiteurs... C'est comme si je découvrais un passage finement ouvragé, composé de bouches d'incendie, de poubelles, de murs en brique et de canettes de bière cabossées. Chaque rue, chaque quartier, chaque endroit où nous nous assîmes pour prendre une bière ou un café, me semblait complaisamment au service du même rêve.
Orhan Pamuk. D'autres couleurs.

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