lundi 26 avril 2010

Cristallisation secrète

Dehors c'était l'hiver et, en l'attendant, je réchauffais mes mains contre la tasse de yunnan.
A son arrivée, il a posé devant moi deux paquets épais, bien emballés. Et je me souviens de son sourire.

De même que certains donnent un nom d'auteur à un baiser, de même que d'autres désignent un voyage par le cépage du vin qu'ils ont bu sur la plage... on peut choisir une unité de temps pour mesurer une absence.

Ces pages, sur la table du café, fallait-il les convertir en minutes, en heures, en jours, pour deviner la date de son retour ?
Je l'ignorais encore, ce jour-là.

Je lis dans un mélange de crainte et de certitude, d'impatience et de flegme.
Si tout va bien, à la fin du roman de Yoko Ogawa, il sera à nouveau là.

"C'est à lui que j'ai offert en premier tous les romans que j'ai écrits jusqu'à présent. 
Il incline pronfondément la tête et le recueille entre ses mains comme s'il s'agissait d'une offrande sacrée. 
-Je suis reconnaissant. Vraiment reconnaissant. 
Sa voix se charge progressivement de larmes au fur et à mesure qu'il répète ses remerciements, me plongeant dans l'embarras.
Mais il n'en a jamais lu une seule page. 
Lorsque je lui demande ce qu'il en pense, il me répond : 
-C'est absolument impossible. Si je le lis jusqu'au bout, il sera terminé, n'est-ce pas ? Je ne peux pas être l'artisan d'un tel gaspillage. Je veux le garder ainsi précieusement auprès de moi jusqu'au bout. 
Et dans la cabine du capitaine, il joint ses mains ridées devant l'autel dédié aux divinités de la mer où il a déposé le livre."
Yoko Ogawa. Cristallisation secrète. 

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