dimanche 20 mai 2012

l'homme 
senti
mental

C'était un soir d'octobre et nous étions descendus manger -lui un curry, moi un poisson grillé- dans cette chaîne un peu chic du bas de la rue où les plats refroidissaient toujours trop vite. 
Installés au comptoir, surplombant la rue, nous avions remarqué pour la première fois qu'il y avait un café, de l'autre côté de l'avenue, au bord de l'eau.(1)

Et bien avant sa dernière bouchée, il avait dit Tiens ! Il faudra qu'on y aille, à l'occasion ! Avant d'ajouter Et, d'ailleurs, pourquoi pas ce soir ? Et sa proposition avait sonné comme un vrai projet. Une aventure, même.
Les journées d'octobre étaient douces et nos bras souvent dénudés quand nous faisions du vélo. 
Mais les soirées étaient plus propices aux chocolats chauds qu'aux thés glacés.
Je m'étais brûlé les lèvres contre le couvercle du gobelet et j'avais resserré le plaid autour de mes jambes en lui demandant de me prendre en photo.(2)

C'est ainsi que le Canal Café était entré dans notre vie. 
Et que, même après, il était resté dans nos vies.

Et c'est là que je m'étais installée avec les pages qu'il m'avait confiées et je les avais lues sans discontinuer et j'en avais corné quelques unes afin de recopier ensuite les mots qui m'avaient touchée.(3)
"Au fond j'ai toujours été un sentimental" : mots écrits à la dernière page d'un carnet de mon ami.
Jeudi, c'est sur une autre terrasse que j'ai relu les pages. Et j'en ai corné, encore, quelques unes. 
Peut-être les mêmes.

Je relirai le livre, un autre jour, une autre année, dans un autre lieu. Je le revisiterai et ce sera un peu me rendre visite, aussi.

"208- Nous sommes possédés par des textes, lus, entendus ou racontés. Nous les possédons malgré nous et ils ressortent à un moment ou à un autre, souvent, très souvent quand nous nous y attendons le moins."

(1) Et jusqu'à la veille de mon départ, j'ai continué à éprouver, comme ce soir-là, l'impression d'être passée cent fois devant des lieux sans jamais les voir -sans toutefois négliger de me souvenir de tous ceux, bien cachés, que j'étais parvenue à débusquer.

(2) Si le cliché a disparu comme tant d'autres, je me souviens que j'y avais les yeux rouges. 

(3)"On pourrait composer un poème uniquement avec ces annotations glanées à droite, à gauche, au hasard des lectures, des livres ouverts. Comme un texte dans le texte, en marge du texte."

Toutes les citations sont extraites de L'ABC DU GOTHIQUE de Emmanuel Régniez. Disponible sur le site du Quartanier ainsi que dans les habituelles librairies en ligne.

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