mercredi 16 mai 2012

Ne pas y retourner

De ces voyages, je me souviens que je me préparais à leur longueur comme à un test d'endurance. 
Je me souviens que nous mettions à l'épreuve le sens pratique de mon père qui devait faire entrer dans le coffre nos bagages ainsi que sa patience car j'étais souvent la seule à être prête à l'heure qu'il avait désignée comme étant celle du départ. 

Autant notre transhumance estivale nous menait vers le soleil, vers la lumière, vers le bleu, par une route qu'il suffisait de suivre tout du long pour être arrivé et aux bords desquels se succédaient marchés odorants, villes vieilles, riantes et chatoyantes, stands nomades de melons... autant ces voyages-là étaient des plongées en apnée dont seule la destination finale nous importait. 

Les routes étaient souvent départementales et leurs numéros se succédaient dans la monotonie de leurs bas-côtés meubles et la traversée de villages anonymes. 
La seule ville mémorable marquait la presque moitié de la distance et j'avais hâte non pas d'y être mais de vite la quitter afin que se rapproche la fin du trajet. 

Comment, enfant, ai-je pu mesurer la différence entre la ville de province à proximité de laquelle j'habitais et celle-ci au nom qui me semblait inachevé et où, dès mon jeune âge et d'emblée, la vie me semblait mortelle ?

L'été, les rues se paraient de fanions colorés dont l'effort pour nous convaincre que le ciel était bleu était d'autant plus pathétique qu'il était vain. 

Pas plus que le mettre en mot, je n'aurais su me libérer du sentiment qui m'étreignait le coeur, le rendait aussi lourd que la terre des champs environnants. 
Et maintenant encore, si j'y repense...
Je découvre que Provins n'est pas l'unique bout du monde. Ailleurs aussi, la terre a parfois l'apparence d'une terre des morts, ne tolérant les vivants que pour entretenir leur mémoire.
Dominique Ané. Y revenir.

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