dimanche 7 novembre 2010

Un amour débutant (un roman-photo épistolaire) 6

Le disque s'est arrêté mais René-Pierre n'a pas bougé. 
Allongé sur son lit, dans la fin de cet après-midi, il laisse résonner en lui une autre mélodie. Un chant attendrissant, une mélopée douce de peu de mots.
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Une chanson comme un collier qu'il aimerait enrouler au cou de Suzanne.

A d'autres moments de la journée, c'est sweetie qu'il murmure et il referme ses bras autour de lui, il serre contre lui, dans une infinie nostalgie, l'absence de Suzanne.
Ma chérie, 
je voudrais vous dire des choses qui me sont passées par la tête; ce n'est peut-être pas très intéressant, et ça ne vaut sans doute pas la peine d'être écrit; mais imaginez que je vous les dis; nous sommes quelque part tranquilles (en Norvège peut-être), et nous parlons de choses et d'autres, sans suite; je suis content d'être près de vous; vous, cela ne vous ennuie pas trop d'être avec moi; alors, je vous dis tout ce que je pense... 
Je pense souvent à notre rencontre, si extraordinaire, et aux liens que le temps cependant si court que nous avons passé ensemble a laissé se créer entre nous. Je suis arrivé à Bains sans souci, avec la seule idée de m'y reposer quelques jours; j'en suis reparti avec une très grande préoccupation : vous, qui avez tout à fait dérangé ma vie, sweetie, et qui êtes si égoïste que vous vous en êtes emparée complètement. 
Ce que j'aime surtout, en vous, c'est votre indulgence, ou plutôt votre compréhension; il est des choses que l'on n'oserait pas dire, de peur de faire sourire; à vous, on les dit; on se décharge de tout ce qui nous tient à coeur, et on a le sentiment très reposant que vous comprenez complètement, exactement. C'est pour cela que j'aime être avec vous. 
Nous n'avons pas toujours beaucoup parlé, ensemble; nous avons rapidement laissé derrière nous ce stade où l'on est obligé de dire des banalités, par politesse et parce qu'on n'a rien d'autre à se dire; très vite, nous nous sommes habitués à rester silencieux, ou tout du moins à ne dire que peu de choses, sachant que ce serait compris par l'autre et que derrière les mots il y avait une entente, une sympathie qui nous unissait très agréablement. Car c'est bien cela, n'est-ce pas, que l'amour, cette entente profonde qui fait qu'un mot, une émotion, procurent chez deux êtres des sensations identiques. C'est là un idéal très bourgeois, sans doute, mais en est-il moins doux pour cela ? 
Je vous embrasse, puisque vous me le permettez. Je vous le permets aussi, vous savez. 
Good bye Suzanne. 
René-Pierre. 
Connaissez-vous la douceur d'aimer ? Je veux parler du film ! Je suis allé le voir hier; j'aime beaucoup Victor Boucher et Renée Devillers, qui jouent très finement. 
(Lettre de René-Pierre à Suzanne, le 16 août 1932)

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