Faire des polaroïds, c'est toujours un peu photographier
"Il me semble que le tourment labyrinthique gagne de beaucoup et monte d'un pas dans le silence quand quelque chose du plus lointain passé revient inopinément au coin d'une rue et délace le temps pour l'ouvrir, sans que pour autant le lieu même où l'on se trouve ait fait partie de nos rêveries ou de nos projections. C'est plutôt comme si quelque chose de notre enfance -un air, un supplément utopique, une mélancolie, c'est difficile à dire- existait à l'état d'un dépôt dispersé dans le monde, introduisant dans ce qui sans cela ne serait qu'une visite de plus la dimension ou, plutôt, la dilatation du temps retrouvé.
Il s'agit là, en fait, d'une dimension étrange, qui n'est pas exactement de l'ordre de la remontée proustienne : ce qui est de la sorte identifié, et qui trouble, n'a pas la netteté de ces pans soulevés révélant d'un seul coup toute une matière enfouie, tout un côté perdu, ce serait plutôt de l'ordre de ces rêves dont on cherche au matin à tirer le film et qui, au sein de cet effort même, semblent se rembobiner inexorablement dans la nuit. Et pourtant ce qui n'est pas assignable à un régime du déjà-vu ne se font pas tout entier dans un ordre vague qui serait celui de l'aperçu ou du pressenti, non, c'est beaucoup plus précis, quelque chose vient, comme une élongation du temps qui ferait pression sur la mémoire, celle-ci faisant à son tour pression sur le présent -on ressent dans ce qu'on voit une vibration ancienne, comme si une note de piano jouée dans l'enfance ou par l'enfance revenait en sourdine et envahissait l'étendue.
Jean-Christophe Bailly. Tuiles détachées.
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