dimanche 2 octobre 2011

La vie voyageuse (en Yamanote)

La ligne Yamanote (山手線) est une ligne ferroviaire circulaire qui délimite officieusement le centre de Tokyo. Elle comporte 29 stations et le temps de parcours total est d'environ une heure. Ses trains sont de couleur acier avec des bandes vertes. Chaque jour, une moyenne de 3,55 millions de passagers empruntent la ligne Yamanote. Les trains circulent de 4h30 du matin à 1h20 avec une cadence d'un train toutes les deux minutes aux heures de pointes. Une boucle complète nécessite entre 58 et 59 minutes.

 MEJIRO  
A la nuit tombée, elle est dans le train et, au-delà de son reflet, elle regarde la ville éclairée.

Elle se souvient des villes d'Europe le soir. Les appartements aux lumières chaleureuses, les écrans de télé allumés, le cliquetis des couverts, les rideaux qu'on ne tire pas en été, les fenêtres grandes ouvertes, les plafonds hauts et les lustres à pampilles, les murs qu'on devine couverts de tableaux ou de livres, les vies qu'on aperçoit et que, parfois, on envie, fugitivement.

A la nuit tombée, elle est dans le train et elle n'envie personne.

Les appartements sont encore déserts et obscurs, derrière les épais rideaux tirés.
Ils descendront plus tard acheter des nouilles instantanées car ils sont derrière l'écran de leur ordinateur pour encore de longues heures.
Leur réunion s'achève à peine et ils repoussent leurs chaises, reprennent leurs dossiers et leurs gobelets isothermes qu'ils ont vidés.
Ils suivent un cours du soir, la tête penchée vers leur livre.
Elle patiente près de la photocopieuse. Il rince une permanente... Ils travaillent.
Ils sont coiffeurs, comptables, serveurs, leur soirée ne fait que commencer, loin des lustres à pampilles.

Dans la ville, les surfaces sont vitrées. Chaque train, chaque café est un observatoire.
La vie est publique.
Elle sait que quand elle marche ou qu'elle sourit, il y a peut-être, quelque part, une vigie.
Parfois elle lève les yeux et, fortuitement, croise les leurs.
Ils fument, ils téléphonent, dans une cage d'escalier ou sur un balcon. Ou ils ne pensent à rien et boivent un café latte, assis au comptoir derrière la baie vitrée. Ils sont tournés vers elle, dans le train sur l'autre voie.
Elle les sait omniprésentes, ces rétines sur lesquelles sa silhouette ou la couleur de son écharpe n'ont pas le temps de s'imprimer.

A Tokyo, elle est vue partout et à chaque instant, jusqu'à ce qu'elle rentre chez elle et qu'elle tire les rideaux.

Aucun commentaire: