dimanche 11 mars 2012

La vie voyageuse (en Yamanote)

 La ligne Yamanote (山手線) est une ligne ferroviaire circulaire qui délimite officieusement le centre de Tokyo. Elle comporte 29 stations et le temps de parcours total est d'environ une heure. Ses trains sont de couleur acier avec des bandes vertes. Chaque jour, une moyenne de 3,55 millions de passagers empruntent la ligne Yamanote. Les trains circulent de 4h30 du matin à 1h20 avec une cadence d'un train toutes les deux minutes aux heures de pointes. Une boucle complète nécessite entre 58 et 59 minutes.

SHIBUYA
Elle tente de l'imaginer petit garçon Tokyoïte, courant du haut de ses cinq ans sur la terrasse du café au bord du canal. 

Un jour il fait nuit quand il arrive chez elle. Le vin dans le verre est rouge et chilien. Plus tard il s'endort dans le fauteuil. Les chats et les insectes dorment aussi. Pourtant, elle ne se sent pas seule. 

Elle sait, quand il dessine les mots qu'elle lui demande, qu'ils ne peuvent pas avoir la même vision du monde. Que rien dans la langue de l'un ne trouve d'exact équivalent dans celle de l'autre. Elle apprend l'approximation. Elle apprend à ne pas tout mettre en mots. Elle apprend à se taire. 

Il lui montre les réunions qui se succèdent dans les pages de son agenda. Il explique les désaccords, les prises à parti des directeurs, l'obligation des soirées aux boissons abondantes. 

Ils ont le même âge. Il dit qu'il paraît plus jeune. Elle le lui laisse croire. 

Au lycée, un fan-club s'était constitué autour de lui. Dont tous les membres étaient des filles. 
Et maintenant ?! 
Plus maintenant ! 

Il n'aime pas sa vie. Il voudrait en changer. Il n'a pas le temps de vivre. Il doit choisir entre vivre et dormir. 

Ils se donnent rendez-vous à Shibuya, près de la statue du chien Hachiko où des centaines de personnes s'attendent aussi. Tu es où ? Leurs voix parmi les autres, dans tous les téléphones, dans toutes les langues. 

Ils n'ont pas vu leur famille depuis dix-huit mois. Dix mille kilomètres la séparent de la sienne. Deux heures de train l'éloignent de sa ville natale.

De Shibuya, elle photographie ce que, sans elle, il ne voit pas. Rouille. Graffitis. Détritus. Il s'éloigne de quelques pas, fait comme s'il ne la connaissait pas. 

Ils traversent le carrefour immense. Ils sont dans la foule anonyme et compacte. Sur les photos des touristes. Corps parmi les corps.

A l'issue de leurs rendez-vous, elle le regarde s'éloigner. Il porte un costume et ses dossiers à bout de bras ou bien un jean et des gants de boxe dans son sac. 

Elle a l'impression que, dans tous les cas, c'est vers un ring qu'il va.

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