Ce n'est que dans les romans de Javier Marias, ai-je pensé, ce n'est que si je vivais à l'intérieur d'une de ses fictions que j'aurais une chance, ou le plus grand malheur c'est selon, de voir se résoudre l'ancien mystère. Seul le romancier pourrait se faire dresser devant moi, à tant d'années de distance, la voix incarnée, me faire rencontrer l'homme qui me dirait C'est moi. Qui éclaircirait l'énigme sans même se soucier auparavant de savoir si elle m'habite depuis tout ce temps, si elle est restée vive, vivante au-dedans. Sans me demander, en un quelconque préambule si je me souviens, si même j'ai été mise au courant. Cet homme me dirait C'est moi. Oui, j'ai composé ton numéro dans la nuit, à tâtons, j'ai demandé à te parler. C'est moi. C'est moi que ton mari a entendu prononcer ton prénom. J'ai demandé à te parler alors que tu n'étais pas là, que tu dormais ailleurs, dans un autre lit, dans le lit d'un autre ou peut-être à l'hôtel mais à l'hôtel, on dort toujours dans le lit d'un autre. C'est à moi que ton mari a répondu d'une voix si assurée, si éveillée. Ton mari dont je n'ai entendu la voix que cette fois-là et, sans connaître son visage, sans connaître sa voix, je l'ai trouvé éveillé et pourtant c'était la nuit noire. Aussi éveillé que s'il avait attendu un coup de téléphone, que s'il n'avait fait que ça : attendre qu'on l'appelle pour répondre Allo de manière aussi claire et assurée, pas même surpris pas même pris au dépourvu alors que c'était toi et non lui, toi qui ne dormais pas là après qui j'ai demandé. Non, il n'attendait pas mon appel, pas le mien, non puisqu'il ne me connaissait pas, qu'il ignorait mon existence, qu'il ne l'a jamais connue, que jamais il ne m'a rencontré, que jamais je n'ai vu son visage, que seules nos voix se sont croisées, cette nuit-là car jamais je n'ai à nouveau composé ton numéro, jamais plus à nouveau et à tâtons comme cette nuit-là, jamais je ne t'ai plus appelée ni dans le jour ni dans le noir comme je l'avais fait cette fois-là tellement j'avais besoin de toi.
jeudi 4 août 2011
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