samedi 17 décembre 2011

en fait, on entre dans un dialogue comme dans un café ou un journal, on ouvre la bouche, la porte ou la page, sans se préoccuper de ce qui va arriver et alors boing ! *


Enter Ludmilla
avec son air du troisième acte et encore maquillée, elle s'est jetée dans sa 2 CV presque avant le baisser du rideau, elle est morte de faim, elle boit du vin pendant que je lui fais une omelette. 
Ludmilla se sent si bien, le vin après l'interminable troisième acte, le parfum de l'omelette qui avance du fond de la cuisine comme le crépuscule sur Cracovie, il faut respecter le rituel, voyons un peu, et vous monsieur, d'où êtes-vous, eh bien moi, d'ici, mademoiselle et ça fait un moment, et que faites-vous à Paris, ah ! ça c'est plutôt délicat à expli-conter avant l'omelette mais après si vous voulez. 

-C'est toi Laurent ? demande Marcos avant
même qu'on entende la voix du correspondant. 

-Ni avant ni après, exige moi qui surveille télépathiquement l'enflure vermeille de l'omelette tout en mettant le couvert avec une célérité méritoire, j'entends par couvert une serviette de papier avec un dessin violet, une demi-bouteille de vin, un pain à peine entamé, opérations tendres et simples pour toi Lulud, pour toi là dans ton fauteuil, petite et fatiguée, petite mon oeil, un bon mètre soixante-neuf sans parler du maintien, mais petite parce que je veux que tu le sois quand je te pense et même quand je te vois et que je t'embrasse et que je te, non pas ça maintenant, et ces cheveux couleur de paille, ces yeux tellement verts, ce petit nez retroussé qui parfois se frotte contre ma joue et me remplit d'étoiles de sel et de poivre, deux feuilles de laitue qui restent de midi, un peu tristes parce que la vinaigrette fatigue le végétal, viens manger Lud, viens vite comédienne du vieux pigeonnier, petit coin de ciel d'Est, joli petit cul, ici sur cette chaise, et maintenant je vais faire un café pour evribodi, ristretto, t'en fais pas, ristrettissimo, comme un petit tableau de Chardin tout substance et lumière et parfum, un café qui condense les magies de la nuit comme ces chansons de Leonard Cohen que m'a offertes Francine et que j'aime tant.
*Julio Cortàzar. Livre de Manuel

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