La ligne Yamanote (山手線) est une ligne
ferroviaire circulaire qui délimite officieusement le centre de Tokyo.
Elle comporte 29 stations et le temps de parcours total est d'environ
une heure. Ses trains sont de couleur acier avec des bandes vertes.
Chaque jour, une moyenne de 3,55 millions de passagers empruntent la
ligne Yamanote. Les trains circulent de 4h30 du matin à 1h20 avec une
cadence d'un train toutes les deux minutes aux heures de pointes. Une
boucle complète nécessite entre 58 et 59 minutes.
SUGAMO
Les jours de marché, elle va à Sugamo. La foule est dense dans la rue aux maisons basses mais parfois, elle trouve toute même une place sur un banc près des fleurs.
Dans les effluves de miso et d'encens, elle tourne son visage vers le soleil d'hiver, elle ferme les yeux. Elle lit un peu. Ou bien, elle fait comme eux : elle se repose de la vie.
Autour d'elle, ils sont tous âgés. Le temple voisin promet la jouvence. Ou de retarder le moment de la mort. Elle ne sait pas exactement. Mais c'est en grappes bruyantes et pressées qu'ils descendent du train et s'éparpillent vers les stands avant d'aller faire une offrande, faire sonner la cloche et frapper des mains en haut des marches.
Elle regarde leurs visages ridés.
Est-ce la prière au temple qui éloigne la mort ? Ou le bon temps qu'ils prennent à Sugamo ? Ou, peut-être, les couleurs douces et sucrées dont ils emplissent leur bouche : le violet de la patate douce, le rose des fleurs de cerisiers, le rouge sombre du haricot. Ou, alors, la rondeur des mochis, le croquant des biscuits de riz, les odeurs d'okonomiyaki...
Ils déballent leurs friandises, froissent les papiers, vont commander un gobelet de saké chaud et sucré. Puis ils s'installent sur ces bancs comme sur la place d'un village et discutent un long moment.
Quand ont-ils renoncé aux vies qu'ils n'ont pas vécues ?
Où sera-t-elle à leur âge ?
Aura-t-elle rendez-vous avec ses amies les jours de marché pour aller au café et encore parler d'amour et d'avenir ?
A être si naturellement assise parmi eux, elle oublie qu'elle a moins de soixante ans et que ses yeux ne sont ni bridés ni bruns. Elle s'en souvient brusquement quand ils lui adressent la parole, lui offrent un biscuit, lui posent quelques questions et s'exclament gentiment sur sa maîtrise de leur langue.
Elle leur est reconnaissante de rendre sa vie si digne d'intérêt.
Parfois ils connaissent son pays mais non, ils n'y sont pas allés. C'est si loin, si cher, ils étaient si occupés. Et maintenant... Maintenant il y a les jours de marché à Sugamo.
Et elle pourrait penser la même chose : pourquoi aller ailleurs quand on est si bien ici.
Plus tard, elle se lève, salue ses voisins et poursuit son chemin au milieu de la rue encombrée. Elle a déjà goûté à tout ce qu'on lui tend : petits poissons séchés, prunes amères, thé vert...
Les autres ne s'en lassent pas : ils ont le même enthousiasme que si, tous les mois, ils venaient à Sugamo pour la première fois.
Elle marche vers la voie du tram et prend place dans la file de la minuscule boutique de taiyakis. Elle observe la dame qui, rapidement et mécaniquement, dépose une noix de haricots rouges dans la pâte à gaufre et s'interrompt brièvement pour lui tendre la pâtisserie chaude en forme de poisson. Son sourire est aussi tendre que l'était celui de sa grand-mère.
Les taiyakis de l'hiver lui réchauffent les mains et le coeur.