vendredi 31 décembre 2010

Ma vie écrite

Ce n'est que plus tard que j'ai regardé l'heure, pas au moment où j'ai marqué la page 40 de mon livre afin d'en différer la lecture, de ne pas laisser les prémices de mon sommeil la gâcher. 
C'est aux environs de 23 heures que j'ai tapé le nom de l'auteur sur internet. 
C'est aux environs de 23 heures que j'ai cru voir ma vie écrite. 

Hier soir vers 23h, je reprends la lecture de Sommes*, fiction d'Emmanuel Adely, commencée il y a quelques jours. Je n'ai auparavant lu que quelques pages, pénétrant à peine la somme de portraits amassés là et trouvant cela, déjà, impeccable. Et puis, hier soir donc, avançant un peu plus dans le texte, je comprends soudain – comment est-ce qu'on comprend ? par quelques subtils indices disposés çà et là – ce qui est en train de se passer. Il est 23h30 et j'ai sommeil mais je ne veux (peux) plus lâcher. Je suis avec ces quelques hommes et femmes, là, ne peux (veux) plus les laisser. Je lis jusqu'au bout.
(Frédéric Forte. Poète-public )
Et puis, ce matin, pendant que mes draps tournaient dans le sèche-linge, j'ai lu les prévisions astrologiques de l'ancienne 2010 dans un usagé féminin et n'y ai vu aucune trace de mon année écoulée.

J'ai achevé la lecture de mon livre, 
j'ai aussi racheté un carnet, 
pour l'avenir.  

jeudi 30 décembre 2010

ArchiteXture



2

Choses que, de temps à autre, on devrait faire systématiquement


Dans les immeubles en général : 


-les regarder; 


-lever la tête; 


-chercher le nom de l'architecte, le nom de l'entrepreneur, la date de la construction; 


-se demander pourquoi il y a souvent écrit "gaz à tous les étages";


-essayer de se souvenir, dans le cas d'un immeuble neuf, de ce qu'il y avait avant; 


-etc.


Georges Perec. Espèces d'espaces

mercredi 29 décembre 2010

Précis de topographie 43

La topographie est l'art de la mesure puis de la représentation sur un plan ou une carte des formes et détails visibles sur le terrain, qu'ils soient naturels (notamment le relief) ou artificiels (comme les bâtiments, les routes, etc.). Son objectif est de déterminer la position et l'altitude de n'importe quel point situé dans une zone donnée, qu'elle soit de la taille d'un continent, d'un pays, d'un champ ou d'un corps de rue. 
La topographie s'appuie sur la géodésie qui s'occupe de la détermination mathématique de la forme de la Terre (forme et dimensions de la Terre, coordonnées géographiques des points, altitudes, déviations de la verticale...). La topographie s'intéresse aux mêmes quantités, mais à une plus grande échelle, et elle rentre dans des détails de plus en plus fins pour établir des plans et cartes à différentes échelles.

J'ai répondu en toute bonne foi. 
Mais, dès que les deux jeunes filles m'eurent remerciée et se furent éloignées dans la direction que je venais de leur indiquer, je perdis toute certitude. Comme si l'adresse qu'elles cherchaient appartenait à une ville fictive dont j'avais déjà fréquenté les quartiers, mais approximativement. Et toujours en rêve. 

mardi 28 décembre 2010

Tuesday self portrait (un pays de)


"neige - plus de visage au pourtour
de l'oeil
ce matin ma phrase voudrait la forme de ton visage, sans mémoire"

Benoît Iochum. Ciel au sol. N4728 juin 2009

lundi 27 décembre 2010

Le rendez-vous

"Amants qui n'êtes qu'à vous-mêmes, aux rues, aux bois et à la poésie; couple aux prise avec tous les risques, dans l'absence, dans le retour, mais aussi dans le temps brutal; dans ce poème il n'est question que de vous."
René Char. Bandeau de "Lettera amorosa".

dimanche 26 décembre 2010

Un amour débutant (la fin d'un roman-photo épistolaire)

Suzanne soupire.
Depuis quand n'a-t-il pas fait aussi chaud ?
Elle repense au premier été de Jean-Loup, un été qu'il avait passé dénudé.
Et, tout le long de la séance chez le photographe, elle l'avait éventé.
Sans réfléchir, elle se saisit du courrier du matin et l'agite mollement devant son visage.
Une lettre de Robert. Ah Robert ! Il répond si promptement lorsqu'elle lui écrit qu'elle doit espacer ses missives.
Elle ne se souvient pas bien comment a débuté cette correspondance.
Jeune mariée, elle ne s'était pas inquiétée en donnant son adresse au danseur doué qui l'avait accaparée cette soirée-là...
Dix ans déjà qu'il lui écrit régulièrement sans lui reprocher les périodes de silence qu'elle lui fait vivre. Elle prétexte sa vie domestique. La vérité est qu'elle l'oublie.
Le remarquerais-je si demain je le croisais dans la rue ?
Elle rangera sa lettre tout à l'heure et notera dans son agenda une date à laquelle lui écrire à nouveau. Dans quelques semaines.
Distraitement, elle regarde l'enveloppe, l'écriture masculine sans grande personnalité.
Elle rangera la lettre, oui. Dans son coffret de correspondance fermé à clef. Pourtant, il ne cache rien de secret. Plusieurs fois, déjà, elle a pensé jeter ces papiers que le temps a jauni.
Jeter ou brûler ?
Encore une fois, Suzanne soupire.
Elle se lève, abandonnant les mots de Robert sur la table.
Plusieurs fois, oui, elle a pensé jeter tout cela. Mais elle s'est toujours ravisée.
Devenue âgée,  peut-être aura-t-elle plaisir à relire son courrier : les lettres dévouées de Robert ou, plus anciennes, celles de René-Pierre.
Devenue âgée, peut-être lui sera-t-il nécessaire de se souvenir qu'elle a été aimée.
Ma chère Suzy,
Je ne sais comment vous remercier de la lettre que vous venez de m'adresser, elle a d'autant plus de valeur à mes yeux que je sais combien cela vous est difficile d'écrire. Donc un immense merci, ma chère Suzy, pour ce petit mot tout simple et qui pourtant me rend si heureux ! Peut-être allez-vous dire qu'il suffit de peu de choses pour me rendre heureux... Mais pour moi, votre lettre n'est pas considérée comme "peu de choses" car elles sont si rares, elles n'en ont donc que plus de prix. Ensuite, votre lettre est pour moi un rayon de lumière  parmi les heures difficiles que je traverse actuellement... Je vous en ai touché un mot la dernière fois, depuis la situation est restée sensiblement la même.
Comme c'est gentil de votre part de me donner de vos nouvelles, et combien votre grande amitié m'apporte joie et réconfort. Je regrette d'habiter si loin de vous, ce qui ne me permet pas de venir vous voir aussi souvent que je le désire, surtout ces derniers temps...
Je crois qu'après votre retour, nous aurons un peu plus l'occasion de nous voir, car je viens d'obtenir un permis de circuler pour ma Ford (après 8 demandes...). Je cherche des pneus car les miens ont été réquisitionnés il y a trois mois. Donc ayant une voiture, j'aurai ainsi plus grande liberté de venir à Lille.
Comme un gros égoïste, je vous parle toujours de moi, il est vrai que vous m'avez demandé ce que je devenais ! Je suis ravi de vous savoir en vacances, loin de tous vos ennuis domestiques (nous avons tous nos ennuis...) et Dieu sait si vous en avez eu !!! Profitez largement, brunissez et devenez belle... Pour cela je vous souhaite temps idéal et bon ravitaillement.
Vous me demandez ce que je compte faire pendant les vacances. Comme il est à peu près impossible d'aller à la mer, nous avons trouvé avec un ménage-ami, d'aller passer le mois d'août à la campagne, à 45 km d'ici. Ma femme et mes enfants y sont déjà depuis 8 jours, le ravitaillement est relativement bon, quant à la campagne, elle est très jolie... Bois, prairies, rivière, collines, excursions en vélo dans les environs, etc... avec possibilité de prévoir des sources de ravitaillement pour l'hiver.
Jusqu'à présent, je n'ai pas encore eu le temps de lire les livres que vous m'avez prêtés, maintenant que je suis seul jusqu'au début d'août, je vais dévorer un livre chaque soir... J'en ai bien une douzaine à lire, ce sera tout juste.
Il y a un mois environ nous avons été passer quelques jours à Paris, nous en vaons profité pour y voir deux pièces que j'ai beaucoup appréciées. Tout d'abord "les Gueux du Paradis" à la Comédie des Champs Elysées, ensuite "Vient de paraître" au théâtre de la Michodière.
Comme Paris est peu intéressant pour le moment ... Chambres réquisitionnées... Restaurants fermés ou n'ayant rien à donner... Des troupes en masse... etc... etc... Je n'y retournerai certainement pas avant octobre-novembre !
Et votre projet de petit appartement ! Toujours aussi difficile à trouver ! Pauvre Suzy... un jour vous serez récompensée, soyez-en persuadée !
Figurez-vous que nous avons été danser au bal populaire, en plein air, dans un petit village près de Fruges... Un siècle de retard sur les villes... Mais combien c'est pittoresque et amusant. Quand danserons-nous ensemble ? La dernière fois c'était en novembre 1935.. ou quelque chose comme cela ! Comme c'est loin... espérons qu'un jour, un heureux hasard nous permettra de faire quelques danses ensemble.
Je vous raconte un tas de choses qui vous sembleront bien peu intéressantes peut-être ! Excusez-moi le style décousu...
Encore un immense merci pour le rayon de soleil de ce matin, puisse-t-il y en avoir souvent de semblables.
A bientôt j'espère le grand plaisir de vous revoir et en attendant, je vous dis très affectueusement et très amicalement... merci... et à très bientôt.
(Lettre de Robert à Suzanne. Le 16 juillet 1945)

samedi 25 décembre 2010

Fille à papa


Plus tard, ma soeur dicta ma conduite et mes goûts par ses questions dissuasives :

Tu ne comptes pas vraiment aller voir cette merde ?
(La boum)
Tu ne vas pas écouter cette soupe si populaire ?
(Mickaël Jackson)
Tu vas manger pendant longtemps ce fromage insipide ?
(Chaussée aux moines)

Alors, je l'imagine bien m'avoir avertie un jour :

Tu ne crois tout de même plus à cette légende puérile ?

Aussi, le jour de la photo, quand ce jeune homme en rouge était arrivé en moto pour m'offrir ma dînette,
je devais sans doute savoir que, dans le civil,
il était militaire,
comme mon père.

vendredi 24 décembre 2010

Le temps d'avent

Pendant que le four diffusait le parfum du gâteau, j'ai plongé les plats de chocolat dans l'eau de vaisselle.
Quand j'ai levé les yeux, l'oiseau était là.

Comme avant.
Comme toujours.
Ce rouge-gorge sous la neige,
C'était mon enfance,
par la fenêtre.

jeudi 23 décembre 2010

Là où je suis

2ème classe, voiture 8.
Ligne 4, direction place d'Italie.
Voie 5, 15H48, retard probable 15 mn.
Direction Hôpital, correspondance aux tourelles.
Ligne 16, arrêt Croix St Denis. 
11 sentier du.
Et puis je verse l'eau bouillante sur les feuilles d'Earl Grey.
J'ouvre mon carnet.
Je suis moi, où que je sois.

mercredi 22 décembre 2010

Précis de topographie 42

La topographie est l'art de la mesure puis de la représentation sur un plan ou une carte des formes et détails visibles sur le terrain, qu'ils soient naturels (notamment le relief) ou artificiels (comme les bâtiments, les routes, etc.). Son objectif est de déterminer la position et l'altitude de n'importe quel point situé dans une zone donnée, qu'elle soit de la taille d'un continent, d'un pays, d'un champ ou d'un corps de rue.
La topographie s'appuie sur la géodésie qui s'occupe de la détermination mathématique de la forme de la Terre (forme et dimensions de la Terre, coordonnées géographiques des points, altitudes, déviations de la verticale...). La topographie s'intéresse aux mêmes quantités, mais à une plus grande échelle, et elle rentre dans des détails de plus en plus fins pour établir des plans et cartes à différentes échelles.

Place d'Arc, rue de la République...

A travers les vitres du tramway défilent les rues de mon passé.
Dans mon dos, quatre bises claquent.

-Ca va ?
-Tranquille, tranquille.
-T'es où, maintenant ?
-A Strasbourg, je rentre juste pour les fêtes. Je suis restée 6 heures dans les trains alors que j'aurais dû arriver vers 2 heures.
-Et ça va ? T'es contente ?
-Ouais, je fais un BTS tourisme. De toute façon, je voulais me barrer d'ici.


Place du Martroi, rue royale...
Je n'ai personne à reconnaître, aucun lieu où retourner. 
Je suis aussi tranquille qu'un fantôme en vacances.  

mardi 21 décembre 2010

Tuesday self portrait (un oubli)

Au lieu du mot approprié
confessionnal
Me venait seulement à l'esprit 
isoloir
"J'ai, depuis, analysé de nombreux autres cas d'oubli. Il n'est pas toujours commode de communiquer ces analyses, car on est obligé, le plus souvent, de toucher à des choses intimes et quelquefois pénibles pour le sujet de l'expérience; aussi m'abstiendrai-je de multiplier les exemples. Ce qui reste commun à tous les cas, en dépit des différences qui existent entre leurs contenus, c'est que les mots oubliés ou défigurés se trouvent mis en rapport, en vertu d'une association quelconque, avec une idée inconsciente, dont l'action visible se manifeste précisément par l'oubli."
Sigmund Freud. Psychopathologie de la vie quotidienne. 

lundi 20 décembre 2010

Once

Relevant soudain la tête du bac des chemises à 2,50€ dans lequel ses mains étaient proches des miennes : 
Vous savez, je suis parfois tellement fatiguée de vivre.
Une autre voix, un autre jour, un autre regard sans sourire : 
On a une seule vie, ce serait la gâcher de la vivre sans aimer

dimanche 19 décembre 2010

Un amour débutant (un roman-photo épistolaire) 12

Vous m'auriez vue ! 
Son rire avait secoué la tasse pleine qu'elle avait en main lorsque Suzanne avait évoqué la première fois qu'elle était allée à la mer.
Et ce rire, René-Pierre aurait voulu l'embrasser. 
Il relit la dernière lettre qu'il a reçue, qu'il a déjà usée. 
Il connaît par coeur tous les mots de tous les courriers, ces mots attendus, ces mots chéris. Il se les redit, il se les répète et, dans les moments de doute, ils sont un baume sur son âme. 
Puis il replie le courrier.
Le papier est doux tellement il l'a caressé. 
Comme il caresserait la peau de Suzanne, à l'intérieur de ses poignets. 
"Vous m'avez écrit précédemment des lettres si affectueuses, chérie, qu'en les lisant il m'était difficile de ne pas croire que vous aviez pour moi un peu plus que de l'amitié, ce qui est très agréable ! Tout d'un coup, vous déclarez que l'amitié est plus douce que l'amour, et que vous aurez pour votre mari beaucoup de sympathie; il est vrai que l'amitié est plus douce, plus reposante que l'amour, mais je vous avoue que je vois difficilement entre mari et femme des relations d'amitié; ne serait-ce que par leur côté sensuel, ces relations diffèrent forcément de l'amitié toute morale. En outre, vous pouvez parfaitement avoir en même temps plusieurs grandes amitiés, ce serait très dangereux pour votre mari ! -Non, il y a quelque chose de plus, Suzanne, que vous ne semblez pas vouloir vous résoudre à reconnaître; je n'irai pas vous dire que vous n'avez pas d'expérience (ce que j'ignore), ni que vous n'avez jamais aimé; je me demande simplement si vous ne vous trompez pas vous-même, de bonne foi. Vous m'avez dit parfois "je vous considère comme un véritable ami, l'amitié est plus douce que l'amour" mais vous m'avez dit aussi : "c'est fatigant d'aimer quelqu'un, je voudrais que vous m'embrassiez"... et, bien souvent, vous m'avez parlé de votre cafard lorsque vous ne receviez rien de moi; l'amitié, vous le dites vous-même, n'a pas de ces inquiétudes, et elle ne connaît pas la véritable souffrance que peut causer l'absence d'un être. Alors, sweetie, ne vous contredisez-vous pas ? Ces variations me déroutent un peu, et il y a des moments où je me demande si je ne me trompe pas lorsque je pense que je suis pour vous plus qu'un autre; lorsque je vous demande de me définir exactement vos sentiments pour moi, vous me dite "vous êtes un véritable ami en qui j'ai pleine confiance"; dans votre lettre suivante, sans que je vous demande rien, vous me dites : "chéri, je voudrais beaucoup vous revoir, j'ai le cafard..."; est-ce cela le langage de l'amitié ? pour ma part, je vous ai dit ou fait comprendre bien des fois que je vous aimais; toutes mes lettres doivent être nettes à ce sujet : vous ne m'avez jamais rien dit de précis, que certaines phrases qu'il me semblait possible d'interpréter dans le sens de l'amour; mais une phrase ensuite venait détruire cette interrogation. Pourtant ne m'avez-vous pas dit, aussi "Je veux être pour vous plus qu'une amie" ?
Je voudrais beaucoup être fixé sur ce point. Je voudrais donc que vous me répondiez, une fois pour toutes, et absolument franchement, à cette question : est-ce de l'amitié que vous avez pour moi, ou autre chose ? Répondez-moi franchement, car vraiment, dans le premier des cas, je ne pense pas qu'il serait très utile de continuer cette correspondance. 
Ne m'en veuillez pas de vous dire tout cela, Suzanne; vous comprenez bien que ce doute ne peut que m'être pénible et que je désire le voir se dissiper au plus tôt. Je vous dis tout ce que je pense, en bien comme en mal; peut-être cette lettre vous fera-t-elle un peu de peine; d'avance je vous en demande pardon, mais je voudrais tellement que tout soit net entre nous. 
La pleine confiance est rare, en amour, et peut être fragile, mais, lorsqu'elle existe, ne fait-elle pas de l'amour un sentiment beaucoup plus doux que l'amitié ? C'est peut-être ce qui fait généralement la supériorité de celle-ci : l'amitié renferme toujours la confiance; elle est souvent exclue de l'amour, et lorsque ce qui le compose se perd (habitudes, communauté de vues, sensualité), il ne reste plus rien parce que la confiance est à la base de tout et qu'elle manque. Mais lorsqu'elle est là, chérie ? Alors l'amitié peut paraître une chose bien incomplète, et si l'on me donnait plus tard à choisir entre le meilleur des amis et une femme que j'aimerais vraiment, je laisserais partir mon ami sans hésiter. 
En somme, vous confondez l'amour et l'amitié, alors que je les distingue nettement. 
Maintenant, Suzanne, je laisse de côté toutes ces controverses, qu'il est si long d'exposer par écrit ! 
Je comprends parfaitement cette distinction que vous faites entre les choses de l'esprit et celles du coeur; je suis moi-même ainsi, et j'ai une extrême difficulté à parler des secondes (sauf à vous). 
Je dois m'arrêter, chérie, car le temps passe. 
Avant de vous quitter, je voudrais vous demander pour cette lettre un peu plus d'indulgence que pour les autres; je vous y parle de choses que vous ne pensez peut-être même pas pouvoir m'inquiéter. Peut-être, dans votre prochaine lettre, si vous m'avez écrit avant de recevoir celle-ci, trouverai-je ces phrases rassurantes et douces qui me feront regretter d'avoir écrit tout cela. 
Ce que je trouve inquiétant, peut-être le trouverez-vous naturel; on peut avoir d'une lettre une interprétation entièrement fausse. 
Quoiqu'il en soit, je préfère vous avoir tout dit, même si je dois reconnaître que suis très bête; et je le souhaite ardemment, vous savez. 
Je vous embrasse, ma chérie, et il me semble, en le faisant, que je vous entends me dire beaucoup de choses rassurantes et tendres qui me font oublier mon cafard. "
(Lettre de René-Pierre à Suzanne. Le 6 septembre 1932)

samedi 18 décembre 2010

Ce qui manquera

A la fin, je lui ai donné le papier ligné sur lequel j'avais écrit en français le verbe manquer
Il l'a pris, il l'a plié, comme s'il allait le garder longtemps 
-comme j'ai conservé tout ce qu'Atsushi m'écrivait, à Shibuya- 

La prochaine fois qu'il le dépliera, ce sera peut-être Bruxelles qui lui manquera. 

vendredi 17 décembre 2010

Ma vie à l'ombre

Il m'arrive aussi de m'absenter du bleu du ciel, pousser la porte du musée et me laisser faire par les formes, les matières, les couleurs, 
me construire.
 "Il existe une épaisseur dans l'ombre, une densité. L'ombre est aussi un dessin, la configuration d'une forme."
Méthodologie du sensible
Pierre Hebbelinck & Pierre de Wit
Au palais des beaux arts de B.
jusqu'au 02/01/11

jeudi 16 décembre 2010

Une théorie de l'indicible

La théorie des « petites perceptions » insensibles : l’inconscient posé comme une exigence de la raison. 

Hypothèse métaphysique. 
« D’ailleurs il y a mille marques qui font juger qu’il y a à tout moment une infinité de perceptions en nous, mais sans aperception et sans réflexion, c’est-à-dire des changements dans l’âme même dont nous ne nous apercevons pas, parce que les impressions sont ou trop petites et en trop grand nombre ou trop unies, en sorte qu’elles n’ont rien d’assez dis tinguant à part, mais jointes à d’autres, elles ne laissent pas de faire leur effet et de se faire sentir au moins confusément dans l’assemblage. C’est ainsi que l’accoutumance fait que nous ne prenons pas garde au mouve ment d’un moulin ou à une chute d’eau, quand nous avons habité tout auprès depuis quelque temps. Ce n’est pas que ce mouvement ne frappe toujours nos organes, et qu’il ne se passe encore quelque chose dans l’âme qui y réponde, […] mais ces impressions qui sont dans l’âme et dans le corps, destituées des attraits de la nouveauté, ne sont pas assez fortes pour s’attirer notre attention et notre mémoire, attachées à des objets plus occupants. […] Ainsi c’étaient des perceptions dont nous ne nous étions pas aperçus incontinent, l’aperception ne venant dans ce cas que de l’avertissement après quelque intervalle, tout petit qu’il soit. Et pour juger encore mieux des petites perceptions que nous ne saurions distinguer dans la foule, j’ai coutume de me servir de l’exemple du mugissement ou du bruit de la mer dont on est frappé quand on est au rivage. Pour entendre ce bruit comme l’on fait, il faut bien qu’on entende les parties qui composent ce tout, c’est-à-dire les bruits de chaque vague, quoique chacun de ces petits bruits ne se fasse connaître que dans l’assemblage confus de tous les autres ensemble, c’est-à-dire dans ce mugissement même, et ne se remarquerait pas si cette vague qui le fait était seule. Car il faut qu’on en soit affecté un peu par le mouvement de cette vague et qu’on ait quelque perception de chacun de ces bruits, quelque petits qu’ils soient ; autrement on n’aurait pas celle de cent mille vagues, puisque cent mille riens ne sauraient faire quelque chose.»
 G. W. Leibniz, Nouveaux essais sur l’entendement humain, 1703-1704, GF, 1998

mercredi 15 décembre 2010

Précis de topographie 41

La topographie est l'art de la mesure puis de la représentation sur un plan ou une carte des formes et détails visibles sur le terrain, qu'ils soient naturels (notamment le relief) ou artificiels (comme les bâtiments, les routes, etc.). Son objectif est de déterminer la position et l'altitude de n'importe quel point situé dans une zone donnée, qu'elle soit de la taille d'un continent, d'un pays, d'un champ ou d'un corps de rue.
La topographie s'appuie sur la géodésie qui s'occupe de la détermination mathématique de la forme de la Terre (forme et dimensions de la Terre, coordonnées géographiques des points, altitudes, déviations de la verticale...). La topographie s'intéresse aux mêmes quantités, mais à une plus grande échelle, et elle rentre dans des détails de plus en plus fins pour établir des plans et cartes à différentes échelles.

LE CAFE NOVO
PLACE DE LA VIEILLE HALLE AUX BLES  37
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Date  :  08.08.10    15:42     Table : T3    C : 0
Garcon : Thomas 2
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Description        Qt       Prix         Total
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YOGI TEA        1        2,30         2,30
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Total : 2,30   Debours :     0,00
                           HT                 TVA            TTC
TVA 21%          1,90                0,40              2,30

A PAYER         2,30
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**MERCI -AU PLAISIR DE VOUS REVOIR**

Un ticket de caisse 
retrouvé 
entre deux pages
c'est
la terrasse du Novo
un jour d'été bleu et blanc
mais aussi
la table du fond
où, un jour 
-d'autres jours-
d'hiver
nous avions réchauffé
nos mains
contre nos bols de soupe
-et nos lèvres, aussi-

mardi 14 décembre 2010

Tuesday self portrait (d'autres visages que le mien)

Photos de Elina Brotherus.
Exposition Ré-collection
à l'espace Contretype .

lundi 13 décembre 2010

L'obsolescence des jours

  la nuit précoce console des jours aux ciels déficients

dimanche 12 décembre 2010

Un amour débutant (un roman-photo épistolaire) 11

Enfants, René-Pierre et son frère échangeaient des grimaces, levaient les yeux au ciel, réprimaient à peine leurs protestations. La rituelle visite chez Tante Léopoldine était le seul nuage de leurs vacances à Biarritz.
L'appartement sombre au parfum de renfermé, la joue sèche qu'il fallait embrasser, la peau du lait figée sur le chocolat chaud qu'on leur servait en plein été, la conversation languissante qu'il fallait supporter en silence, l'immobilité à laquelle on les obligeait... Rien n'atténuait la corvée de leur présence dans le salon de cette vieille dame.
Elle n'est même pas de notre famille, avait tenté d'argumenter René-Pierre une année.
Certains liens sont plus forts encore avait répliqué sa mère.
Ses deux fils avaient déjà vu la mauvaise photo qu'elle conservait si précieusement, cette scène de plage qui contenait sans doute l'explication de cette relation, qui justifiait leurs visites. Mais ils ne se risquaient pas à réclamer le récit d'une histoire que tout le monde taisait.
Au moins, si elle savait qu'on déteste boire du chocolat ! se lamentaient chaque année les deux frères.

Son coup de sonnette résonne dans l'appartement et en attendant qu'on lui ouvre, René-Pierre pense à l'année prochaine.
Dans un an, sur ce même palier, il attendra, une fois encore. Mais, cette fois, il y aura la main de Suzanne dans la sienne.
Dans un an, ils seront fiancés. Et ils échangeront des regards complices, de chaque côté de la table, ils riront ensemble, à la fin de leur visite.

La porte est ouverte, Tante Léopoldine tend sa joue.
Ah, mon petit René-Pierre ! Ça me fait tellement plaisir de te voir ! Viens ! Entre ! J'ai fait chauffer du lait pour ton chocolat : je sais que tu aimes tant ça ! 
"Ce que j'aime en vous, sweetie, c'est d'abord, pour le physique, vos yeux, dont je me rappelle très bien l'expression, et vos mains, fines, et vous toute, grande et mince (même un peu trop, peut-être); dois-je ajouter, plus particulièrement, vos lèvres ? -Pardon !- Ce que j'aime en vous, et que j'ai aimé avant de vous connaître, c'est votre air "comme il faut", posé, votre air sérieux, et non évaporé comme tant de jeunes filles, ("évaporé" est faible; mais il a l'avantage d'être poli !). Surtout, j'aime votre finesse, et votre sensibilité, qui me paraissent grandes, et votre compréhension, qui est délicieuse; ce sont là trois qualités que je trouve essentielles pour une femme. J'aime aussi votre loyauté et votre franchise, qui me permettent d'avoir en vous une confiance absolue, et, dans l'ensemble, toute la douceur qui se dégage de vous; j'aime beaucoup ce qui est doux, aussi bien chez une femme que dans la musique et les couleurs; j'ai horreur de ce qui est brutal, heurté, sans harmonie... J'aime encore beaucoup de choses, tant de choses que je ne saurais les énumérer avec ordre : la façon dont vous savez me rassurer, m'enlever mon cafard, votre pudeur aussi, qui fait que cela vous gêne de m'écrire que vous m'embrassez (s'il fallait le faire, chérie !), la façon un peu triste que vous aviez de me regarder dans les heures qui précédèrent mon départ, la manière dont vous prononcez "chéri", beaucoup de vos gestes, de vos expressions, une foule de détails insignifiants en eux-mêmes, mais qui font que c'est vous que j'aime, et non une autre.
Je m'arrête; je viens de vous faire beaucoup de compliments; vous allez devenir trop contente de vous (ce que j'aime en vous : votre simplicité). Je vais chercher maintenant quelque chose qui me plaît moins en vous; je vous l'écrirai. 
Je vous écris de plus en plus souvent; j'aime beaucoup le faire; j'ai vraiment peine à croire que nous nous sommes vus 3 jours; et il y a plus de 6 semaines que je vous connais ! C'est presque une histoire de roman; j'aime assez les romans, du reste, surtout lorsqu'ils se terminent bien !"
(Lettre de René-Pierre à Suzanne. Le 3 septembre 1932)

samedi 11 décembre 2010

L'écriture et la vie

Si je n'avais pas choisi d'écrire 
tous les jours
peut-être m'arriverait-il 
d'omettre d'en vivre 
certains. 

vendredi 10 décembre 2010

"Un gribouillis n'encourage ni à être lu ni à y répondre"

"Même si l'usage de taper à la machine la correspondance privée se répand et se tolère, il est encore plus respectueux de l'écrire à la main. 

Ecrivez lisiblement, pas de pattes de mouches. Et gardez-vous du nouveau snobisme qui consiste à noircir des pages de gribouillages informes et indéchiffrables pour se donner l'air d'un grand intellectuel. 
Ça ne trompe personne."

Annie Chartrette. Le nouveau savoir-vivre en 10 leçons

jeudi 9 décembre 2010

Loup, définitivement,

Dans les escaliers et même après la clé tournée dans la serrure, j'ai gardé mes écouteurs.
J'ai laissé mon sac s'allonger sur le sol, à côté de mes chaussures et lancé mes gants en vrac, quelque part.
J'ai tourné le bouton du thermostat, rempli la bouilloire.
La chanson qui s'accordait si bien avec la marche du retour a laissé place à une autre, plus intimiste, intérieure.
En dehors de moi, il y avait le silence, la solitude de l'appartement, comme si je n'étais toujours pas rentrée.
J'ai poussé un peu la vaisselle, dans l'évier, pour rincer la théière, ouvert quelques boîtes, pour sentir, pour vérifier, alors que je savais parfaitement à l'avance quelle fragrance j'avais envie de verser dans ma tasse.
Et c'est dans la banale mais si douce ordonnance de ces gestes si répétés, si quotidiens, si usés, c'est dans la minuscule liberté de choisir de rentrer me faire un thé, quelle que soit l'heure... C'est exactement à cet instant que m'est revenue la fable, l'histoire du chien, au cou pelé.

mercredi 8 décembre 2010

Précis de topographie 40

La topographie est l'art de la mesure puis de la représentation sur un plan ou une carte des formes et détails visibles sur le terrain, qu'ils soient naturels (notamment le relief) ou artificiels (comme les bâtiments, les routes, etc.). Son objectif est de déterminer la position et l'altitude de n'importe quel point situé dans une zone donnée, qu'elle soit de la taille d'un continent, d'un pays, d'un champ ou d'un corps de rue.
La topographie s'appuie sur la géodésie qui s'occupe de la détermination mathématique de la forme de la Terre (forme et dimensions de la Terre, coordonnées géographiques des points, altitudes, déviations de la verticale...). La topographie s'intéresse aux mêmes quantités, mais à une plus grande échelle, et elle rentre dans des détails de plus en plus fins pour établir des plans et cartes à différentes échelles.
Leurs chaussures de sport rendent leur démarche élastique, alerte. Et même la jupe étroite de leur tailleur ne réussit pas à entraver leurs pas rapides.
Leurs talons raisonnablement hauts les attendent sous leur bureau.
Leurs cheveux sont attachés ou emprisonnés sous un béret.
Elles aiment le beige, elles aiment le noir et leur vernis à ongles est discret.
Elles sont jeunes et elles sillonnent le quartier des affaires.

Devant la station Trône, les escarpins qu'elle a sortis de son sac ont, tout soudainement, égayé le trottoir.
Alors qu'elle délaçait ses baskets, nos regards se sont croisés.
J'ai souri.
Elle aussi.
Ses lèvres aussi étaient laquées.
Du même vermillon que ses souliers.

mardi 7 décembre 2010

Tuesday self portrait (une carrière)

Les années ne sont pas inutiles. 
A pratiquer les miroirs et les autoportraits, je suis devenue maquilleuse, accessoiriste, habilleuse, coiffeuse, éclairagiste. 

lundi 6 décembre 2010

Les grandes surfaces

Elles parlaient du métro, d'attendre le métro. 
Elles s'accordaient sur le fait qu'il y avait tellement de publicités, qu'on était tellement sollicités, 
sur les quais. 
J'ai acquiescé par politesse, par commodité. 
Mais, 
dans le fond,
je ne voyais pas très bien de quoi il était question. 
Je me suis promis de faire attention, 
la prochaine fois que je descendrai sous terre.
Et puis aujourd'hui.
En appui sur une jambe seulement dans le couloir
et jetant un oeil vers le ciel coloré,
elles chantonnaient l'air ringard
qui parle de soleil, qui parle de lundi.
Moi aussi j'ai chanté mais je ne suis pas restée.
Qu'est-ce qui pourrait m'obliger à vivre dans le noir ?

dimanche 5 décembre 2010

Un amour débutant (un roman-photo épistolaire) 10

René-Pierre passe ses mains dans ses cheveux salés, qu'il plaque vers l'arrière. 
L'eau est fraîche mais le sable est chaud, dès la petite heure du jour à laquelle il va se baigner. 
Il profite de la plage avant l'arrivée des familles, des ballons, des cris. Ensuite, il fuit sur les rochers, il regarde l'horizon, il fait quelques ricochets, il fuit le monde. 
A Suzanne qui réclame de savoir ce qu'il fait de ses journées, il ne sait que répondre : la météo est égale, la mer est étale, les rochers sont escarpés, il oublie le goût de ce qu'il a mangé aussitôt que l'heure des repas est passée. 
Ou plutôt si, il pourrait lui répondre. Il pourrait lui décrire en un mot son emploi du temps : 
vous
car il ne pense qu'à elle, il ne vit que pour elle, il se résume à elle. 

Qu'était-il donc, avant Suzanne ? Il y réfléchit, souvent. 
A quoi était consacrée la vacuité de tous ses jours de vacances, quand le quotidien du bureau libérait son esprit ? Quelle mémoire vaut la peine d'être gardée de ses années vécues avant Bains ? 
Au fond, ma vie était seulement machinale. 
Animale. 
"Ma petite chérie, 
je n'ai pas encore trouvé votre remplaçante, mademoiselle; je vous préviendrai; ne soyez pas inquiète. Je vous assure qu'au milieu de tous ces gens, de toutes ces jeunes filles, je n'ai pas la moindre envie de faire leur connaissance; je préfère rester seul, quitte à me faire traiter de sauvage ou de type bizarre; tout cela parce que je pense à quelqu'un d'autre, à une jeune fille. Connaissez-vous l'histoire ? Une jeune fille très gentille que j'ai rencontrée il y a 6 semaines, et que j'ai vue 3 jours; une après-midi, dans un parc, nous avons découvert que nous nous entendions vraiment très bien; plus tard, je l'ai appelée "chérie" et elle n'a pas trouvé ça choquant; alors nous avons décidé de nous écrire et maintenant, loin de l'oublier, je désirerais de plus en plus ardemment la revoir. C'est grâce à elle, à ses lettres, que je suis parfois absolument heureux. 
Trouvez-vous enviable le sort de cette jeune fille ? 
Je voudrais, chérie, que vous m'écriviez tout, tout ce que vous rêvez, les choses les plus folles; vous savez bien que, venant de vous, rien ne me choquera. 

Cette question d'amour physique est très délicate, surtout à traiter par écrit; verbalement, on se comprend à mi-mot; dans une lettre, il faut s'expliquer. J'aimerais vous embrasser, sweetie, vous ne savez pas à quel point, et je suis content de savoir que cela ne vous ennuierait pas. A vrai dire, je m'y attendais un peu car si l'on ne se plaît pas physiquement, on n'a pas même le goût de savoir si les caractères concordent. La première attirance est celle du physique; l'autre ne vient qu'ensuite, ce qui est bien compréhensible, puisqu'on ne se connaît d'abord pas. Il est difficile de parler de cela par écrit, et ce serait très long. Je vous embrasse donc; quand le ferons-nous réellement ? Je vous embrasse Suzanne; il me semble que vous êtes tout près de moi, tout près, tout près. 
Je vois très bien comment je vous embrasserais ! A vous de me décrire la scène; moi je n'ose pas, par timidité ! 
(Lettre de René-Pierre à Suzanne. Le 2 septembre 1932)

samedi 4 décembre 2010

La météo de l'intime

Les phénomènes climatiques sont intérieurs
les bulletins météo n'annoncent pas nos humeurs.
Chacun en revanche 
peut émettre son avis de tempête, son alerte orange. 
Un stylo, un papier plié 
comme un billet. 


Mon ange, gardons la chambre, aujourd'hui. 

vendredi 3 décembre 2010

Une chambre à soi

Le matin même, je l'avais entendue : accoudée au comptoir, elle parlait de la Russie, des appartements communs dans lesquels les familles s'entassaient, partageant les chambres entre les générations mais aussi les cuisines -une cuisine pour six famillesmoi je ne pourrais jamais- 
Moi non plus. 
Mais pas davantage les salles de bain et les lits, l'espace,
le silence. 

Le soir, j'ai repensé à elle, en regardant Le nid familial de Béla Tarr, 

"J'en caresserais certainement les murs,
 ce serait tellement extraordinaire si j'avais un appartement à moi."

 en évitant de penser à tous les humains qui, en plus de moi, pourraient vivre dans mon grand appartement. 
"Je ne veux vraiment pas être un réalisateur de films d'action. Quand on regarde vraiment sa vie, on s'aperçoit qu'il ne se passe rien. C'est ce que je veux capturer."
Béla Tarr

jeudi 2 décembre 2010

Ma vie au bois dormant

Je suis montée au cinquième étage, je suis retournée là où 
avant 
nous étions ensemble. 
Et par la fenêtre, c'était encore l'hiver, cette lumière, cette lumière de neige, qui rend jolie la peau et clairs les yeux
 sur les photos. 
Je n'ai pas d'aptitude pour les travaux d'aiguille. 
Et pas davantage les genoux d'une fille de roi. 
Et, comme tu le sais, c'est le pain 
pas les pommes 
qui m'anesthésie. 
Au cinquième étage, c'était vue sur la Suède et le souvenir de nos rendez-vous en ville m'a serré le coeur comme un corset. 

Je n'aime pas l'inertie mais je ne parviens pas à réveiller ma 
vie. 

mercredi 1 décembre 2010

Précis de topographie 39

La topographie est l'art de la mesure puis de la représentation sur un plan ou une carte des formes et détails visibles sur le terrain, qu'ils soient naturels (notamment le relief) ou artificiels (comme les bâtiments, les routes, etc.). Son objectif est de déterminer la position et l'altitude de n'importe quel point situé dans une zone donnée, qu'elle soit de la taille d'un continent, d'un pays, d'un champ ou d'un corps de rue.
La topographie s'appuie sur la géodésie qui s'occupe de la détermination mathématique de la forme de la Terre (forme et dimensions de la Terre, coordonnées géographiques des points, altitudes, déviations de la verticale...). La topographie s'intéresse aux mêmes quantités, mais à une plus grande échelle, et elle rentre dans des détails de plus en plus fins pour établir des plans et cartes à différentes échelles.
Des pavés glissants je me méfie comme des serpents 
: mes traversées de la ville durent plus longtemps. 
A l'arrivée, je tais mes chutes évitées 
: se plaindre du temps, c'est en vivre deux fois les désagréments.

(Mais il y a également ces flocons égarés qui se posent sur ma bouche aussi doucement que les baisers du plus tendre des amants)

mardi 30 novembre 2010

Tuesday self portrait (une autre)

Si elle aimait les tartines au fromage et regarder la télé jusqu'à pas d'heure, si elle se sentait seule au point d'en pleurer -d'en pleurer ou d'en boire- si elle pensait à présent à ses vacances d'été et s'énervait dans les files d'attente, si tous les matins elle disait "à ce soir", s'il lui arrivait de porter un top en maille dorée -en maille dorée ou argentée- si elle avait un abonnement à la piscine, si elle faisait des grasses matinées, si elle prenait des cours de chant -de chant ou de boxe- si elle choisissait la formule "plat+dessert", si elle arrivait en retard à ses rendez-vous, si un enfant l'appelait "maman", si elle sortait d'une salle de cinéma les yeux rouges, si elle changeait de parfum chaque année, si elle pouvait se passer de porter une écharpe en hiver -une écharpe et des gants- si elle savait repasser, si elle repassait, si elle n'emportait pas toujours un livre dans son sac -un livre et un carnet et un appareil photo- si elle s'intéressait à l'actualité et mangeait du chocolat, si elle parlait italien -italien ou russe ou allemand- et si elle n'était pas amoureuse, si elle passait son temps au téléphone, si elle se laissait pousser les cheveux, si elle avait un chien -si elle aimait les chiens- si elle avait de jolies jambes si elle ne
publiait pas un autoportrait tous les mardis

 elle       ne        serait      pas       moi

lundi 29 novembre 2010

comme en rêve

il y a des roses sur ma table et les roses mourront
parfois les jours passent
  comme en rêve
la nuit est au carreau si tôt
on chuchote plus qu'on rit
pourtant
qui veut d'une vie
à voix basse

dimanche 28 novembre 2010

Un amour débutant (un roman-photo épistolaire) 9

Comme il l'avait deviné, la nuit de René-Pierre a été blanche même après qu'il a éteint sa veilleuse et que le compartiment a été plongé dans le noir et les respirations calmes. 
Les mots lus dans la salle d'attente, dans le livre vainement transporté ne lui ont laissé aucun souvenir et ses pensées ferroviaires ont ressassé ceux de Suzanne qui lui sont aussi intimes que si elle les avait gravés sur son coeur. 
A l'aube, le paysage s'est éveillé, estampe en mouvement dans le cadre de la fenêtre, sous les yeux des voyageurs délaissant leurs rêves pour assister à la naissance d'un jour d'été très neuf. 
Dans la confusion de sa fatigue, René-Pierre a laissé des images s'emmêler : venues des temps récents, depuis Bains, depuis Suzanne ou bien issues de son très jeune âge, quand la mer était encore incompréhensible et la plage immense, imprenable. 
"Ma Suzanne chérie, 
cette nuit alors que j'étais mi-éveillé, mi-endormi, le roulement du train m'a fait venir, comme souvent, une phrase à l'esprit, de ces phrases que l'on répète indéfiniment, sur le rythme du passage des roues sur les rails; cette phrase, je m'en suis rendu compte au bout d'un temps assez long, était : "Suzanne je t'aime, Suzanne je t'aime..." Excusez-moi de vous avoir tutoyée; c'est très familier; mais je dormais à moitié et "Suzanne je vous aime" n'aurait pas été avec le rythme du roulement ! Pardon. 
Ecrivez-moi très souvent, Suzanne, tant que vous voudrez; j'adore recevoir vos lettres. 
J'ai pris toutes les vôtres avec moi, non sans difficulté, ma mère ne m'ayant que très peu quitté avant mon départ; vu leur nombre, je ne pouvais évidemment pas les garder indéfiniment sur moi; mon veston commençait à se gonfler d'une façon anormale ! Je les avais mises dans un coffret fermant à clef dans une armoire fermée également, et j'avais les deux clefs sur moi. J'ai donc été obligé de les transporter du coffret dans ma valise, opération compliquée puisque ma mère l'arrangeait sans cesse. Tout s'est bien passé ! 
Good bye, sweetie, je n'ai plus maintenant de phono, seulement ma belle voix pour chanter Paradise et tous ces airs que j'aime surtout depuis Bains (pourquoi ?)! 
Je ne sais encore si je puis vous embrasser, réellement. Dans le doute, je ne m'abstiens pas, et je vous embrasse très, très tendrement, Suzanne."
(Lettre de René-Pierre à Suzanne, le 1er septembre 1932)

samedi 27 novembre 2010

j'embrasse les choses que j'aime sur la bouche*

j'aime tes pliages improbables, 
mon amour 
(photo P.)
*Evelyne Wilwerth