samedi 1 mai 2010

Une fabrique de souvenirs

Le dernier roman de Yoko Ogawa parle de disparitions -des oiseaux, des roses, des photographies... mais aussi des calendriers, des romans, de la voix-, de la mémoire -en avoir ou pas-, des accommodements nécessaires, des cavités du coeur, de la résignation.

Quand j'ai eu fini de le lire, j'en ai, jusqu'au bout, tourné les pages, un peu oppressée.

A quoi pensent les éditeurs lorsqu'ils placent, à la fin d'un volume, quelques pages blanches, muettes ?
Ces trois-là m'ont fait penser à des buvards capables d'absorber les mots de toutes les autres, une fois que j'aurais rangé le livre.
Ainsi, comme un flacon de parfum presque vide dont je voudrais garder le souvenir mais dont le liquide se volatilise inexorablement, aucune trace ne subsisterait ni du roman ni de ma lecture.

Alors j'ai assemblé, sur les pages vierges finales, quelques souvenirs qui ne sont pas les miens mais qui me rappelleront toujours le temps passé avec ce livre.

"Ce ne sont peut-être que des petits morceaux de papier, mais ils contiennent quelque chose en profondeur. La lumière, le vent ou l'atmosphère, la tendresse ou la joie de celui qui a pris la photo, la pudeur ou le sourire de ceux qui sont représentés. Il faut garder éternellement toutes ces choses au fond de son coeur. C'est pourquoi on a pris la photo, vous comprenez ?

-Oui, je sais. D'ailleurs, je les ai toujours conservées soigneusement. Et chaque fois que je les regardais, je pouvais faire revivre des souvenirs précieux. Ils me remplissaient de nostalgie au point de me faire souffrir d'une tristesse lancinante. Mais maintenant, il faut y renoncer. C'est inquiétant et difficile de le perdre, mais je n'ai pas suffisamment de force pour empêcher les disparitions. 
-Même si vous ne pouvez pas les empêcher, vous n'êtes pas obligée de brûler les photographies. Le monde a beau se transformer, les choses importantes sont importantes. Leur essence reste inchangée. Si vous gardez les photographies, elles vous apporteront forcément quelque chose. Je ne veux pas que votre mémoire se vide encore plus. 
-Non... ai-je dit en secouant faiblement la tête, maintenant regarder des photos ne fait plus rien revivre en moi. Je ne souffre même plus de nostalgie. Désormais ce ne sont rien de plus à mes yeux que des petits morceaux de papier brillant. Une nouvelle cavité s'est creusée en mon coeur. Que rien ni personne ne peut combler. C'est cela les disparitions. Je pense qu'il vous est peut-être difficile de comprendre."
Yoko Ogawa. Cristallisation secrète.

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