Elle s’arrêta sur le seuil de la salle des archives. Des poussières dansaient dans un rayon de soleil. Le mois dernier, la lumière pénétrait jusqu’au meuble à glissières. L’hiver, il inondait la pièce.
Colette, elle, remarquait toujours ces choses-là. Elle disait
Comme le temps passe vite ! Elle se souvenait s’il avait fait beau l’année précédente à la même date. Elle pouvait citer les chansons à la mode trois ans auparavant. Elle méritait vraiment sa place au service des archives.
Elle ouvrit un tiroir. Colette n’était pas encore revenue de sa pause et la salle était déserte et chaude. Elle s’appuya contre le meuble.
Qu’est-ce que je suis venue chercher ?
Elle était de plus en plus distraite.
Il y avait une auréole sur le meuble. Un verre d’eau oublié trop longtemps. Elle passa la main dessus, caressa le bois, les yeux dans le vague.
Sur la commode de sa chambre aussi, il y avait une pareille tache. Elle pensait encore
Ma chambre alors qu’elle ne l’était plus depuis si longtemps. Depuis qu’elle ne portait plus le nom de ses parents. Le nom de
jeune fille disait-on, quel que soit l’âge auquel on en changeait.
Elle avait laissé son bouquet de mariée séché sur la commode et il y était encore, vestige de ces jours où l’excitation avait été supplantée par l’inquiétude et les rendez-vous avec la couturière, de ces jours passés le front penché vers l’élaboration difficile d’un plan de table.
Agrafes et trombones alignés.
Mais non, ce n’est pas ça.
Dans la chambre, c’était des faire-parts, des menus, qui emplissaient un tiroir de la commode.
Pendant des jours, les questions du traiteur avaient semblé plus importantes que n’importe quelle autre actualité. Et pourtant, qui donc se souvient du potage vert pré en entrée ou du parfum de la glace du dessert ?
Sa mère, sans doute, puisque hier au téléphone, elle lui avait glissé
Tu sauras faire simple, cette fois ? Et sa question avait sonné comme un reproche.
Après avoir tant redouté la pluie, c’était une trop forte chaleur qu’il avait fallu affronter ce jour-là. De celle qui fait filer les rouges à lèvres, flétrit les fleurs et accentue les rides sur les photos. Tante Joséphine lui avait paru si pâle, si vieillie. Elle était morte peu après et, encore maintenant, sa mère continuait à commenter les faits dramatiques de l’actualité
Heureusement que Tante Joséphine n’est plus là pour voir ça. Mais jamais elle ne faisait remarquer l’absence de la tante lors des faits heureux et familiaux.
Tante Joséphine n’entendait presque plus ce qu’on disait, elle n’était plus capable de suivre une conversation. Et pourtant, sur les photos des tablées, on la voyait toujours l’air concentré, au fait de tout.
J’aimerais tant vieillir comme elle, si dignement...
Tante Joséphine était morte avant qu’elle ait pu lui annoncer qu’elle était enceinte. Les nausées l’avaient empêchée d’avaler quoi que ce soit lors des funérailles.
D’ailleurs, cette abondance de viandes en gelée, de vols au vent sur la table, n’était-ce pas indécent ?
Le bilan du mois de février, voilà ce qu’elle était montée chercher.
Pourquoi l’avait-elle momentanément oublié, comment s’en était-elle souvenue ?
Il y avait comme un labyrinthe dans sa tête.
Je devrais faire du tri… A quoi bon garder ces vieux papiers, ces vieilleries ? A-t-on besoin d’une salle d’archives dans nos vies ?
Sais-tu le temps qu’il va faire dimanche ?
Elle sursauta : Colette venait d’entrer.
Beau, j’espère : c’est la communion d’Evelyne.
Évelyne fait sa communion ? Déjà ? Mais, hier encore elle avait cinq ans !!! C’est fou comme le temps passe vite !!!